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Céphalopolis

Gonner JONES

Titre original : The Dome, 1968
Première parution : Londres, Grande-Bretagne : Faber & Faber Limited, 1968   ISFDB
Traduction de Paul CHWAT

DENOËL (Paris, France), coll. Présence du futur précédent dans la collection n° 112 suivant dans la collection
Dépôt légal : 1er trimestre 1969, Achevé d'imprimer : 29 décembre 1968
Première édition
Roman, 256 pages, catégorie / prix : 8,50 FF
ISBN : néant
Format : 11,8 x 18,0 cm
Genre : Science-Fiction


Quatrième de couverture
     • Céphalos est la tête collective de cent millions d'individus.
     • C'est le bonheur : sous forme de pilules alimentaires et d'émissions télévisées...
     • Quelques déviationnistes pourront-ils mettre leur plan à exécution ? Et si on rend la liberté aux hommes qu'en feront-ils ?
 
     Une critique « marcusienne » de notre société de consommation ? En tout cas, un premier roman qui deviendra un classique de la Science-Fiction dans la ligne de Simak et de Bradbury.
Critiques
     Les lecteurs de cette rubrique vont peut-être finir par croire à un parti-pris mais l'honnêteté oblige à dire que cette cent douzième livraison de la collection « Présence du Futur », attendrissante de médiocrité, fait état une nouvelle fois de l'indifférence totale qui, depuis quelques temps, semble commander le choix de ses titres. En nous offrant le récit — ô combien poussif ! — des tentatives de quelques insipides déviationnistes pour libérer une société future qu'une minorité — Elus, Hommes du Sang et Bourgeois — entretient dans une imbécillité servile grâce aux émissions télévisées dispensées par le Céphalos, énorme cerveau collectif, l'obscur auteur britannique nommé Gonner Jones ne fait que reprendre des thèmes archi-familiers, même à qui ne connaîtrait la science-fiction que par « Le Livre de Poche ». La réglementation forcenée de l'existence, les scènes de lavage de cerveau, la destruction des livres, la hiérarchisation mathématique de la collectivité, la renaissance à la conscience grâce à l'amour : tous les poncifs de ce genre de sujet sont ici alignés dans un attristant garde-à-vous. Il est évident qu'il n'y a pas là de quoi fouetter un chat. La S. F. a désormais ses thèmes traditionnels et il n'est rien de plus excitant pour un auteur que de se colleter avec eux pour en faire jaillir de l'imprévu. Au Moyen-Age ou à l'Age Classique, la littérature française trouva même dans cette attitude un de ses moteurs les plus féconds. Mais il faut être solidement armé pour cela. Gonner Jones, dont c'est ici le premier roman, ne l'est manifestement pas.
     Passe encore que l'anti-utopie gribouillée dans cette œuvre laborieuse manque singulièrement de consistance. En nous présentant une société régie par un gouvernement dont on serait bien en peine de définir la nature et le principe puisqu'il tient à la fois du despotisme éclairé et de la tyrannie populaire, Céphalopolis ne fait que refléter en gros les incertitudes de certaines monarchies européennes. Passe encore que l'histoire soit cousue d'invraisemblances et de contradictions. Pour que Teller, le héros du livre, puisse faire les démarches nécessaires à l'accomplissement de son plan de libération, il faut bien que les piliers du régime commettent d'énormes erreurs et soient un peu plus Idiots que nature. Passe encore que les déviationnistes s'expriment avec une naïveté si touchante que leur portrait prend parfois des allures de charge et donne à ce livre assurément progressiste un arrière-parfum réactionnaire. Les candides anathèmes contre les méchants qui nous avaient dépossédés de noire liberté... nous intoxiquaient avec des plaisirs artificiels... agissaient ainsi afin de pouvoir conserver tout le pouvoir, tous les privilèges, tout le luxe pour leur seule satisfaction (p. 214}, sont relevés ailleurs par quelques réflexions, sans doute un peu cyniques mais lucides, sur les rapports du peuple et de la liberté. Bref, avec de la bonne volonté, on peut beaucoup pardonner à Gonner Jones puisque après tout, il donne envie de relire 1984, ce qui ne fait pas de mal de temps en temps. Mais quand il gâche tranquillement ce qui, au départ, pouvait être une bonne idée, il y a de quoi mettre sa bienveillance en sourdine.
     Le cerveau qui exerce sa lénifiante influence sur le peuple, pense, se souvient, jouit pour le peuple, n'a rien de la classique machjne électronique. C'est un authentique organe vivant avec matière blanche, matière grise, cervelet de deux cent quatre-vingts mètres de long sur quatre-vingt-dix de large, et tout à l'avenant, qu'entretient, fortifie, instruit une armée de techniciens à sa dévotion. Quels développements épiques en perspective ! On imagine d'avance ce que va donner cette masse gargantuesque en train de régler l'Heure de l'Amour pour cent millions d'individus. Déception ! Ce Céphalos qu'on souhaiterait présent, qu'on aimerait voir vivre, palpiter, tout chargé de puissance horrifique, tout nimbé d'une aura sacrée, déploie, grâce au manque d'imagination de Gonner Jones, autant de magnétisme qu'un appendice malade. Lorsque Teller, nommé à son service, pénètre sous le dôme où trône le Grand Cerveau Vivant, la visite qu'on lui fait faire et les renseignements qu'on lui donne sont à peu près du, même intérêt que les propos d'une infirmière en chef mettant au courant la nouvelle aspirante au nettoyage des seaux hygiéniques. On pense avec une douloureuse nostalgie à la sourde terreur que Kurt Siodmak était arrivé à nous communiquer face à son Cerveau du nabab, pourtant pas plus gros qu'un melon adulte.
     Réclamer d'un roman de S. F. un peu de couleur, un peu d'étrangeté, un peu de fascination relève, il est vrai, d'une exigence grossière. Lieutenant dans la Royal-Navy de 1955 a 1958, candidat du Labour Party aux élections de 1964 et 1966, actuellement professeur d'Anglais, Gonner Jones eût été humilié de concéder à son lecteur les basses émotions qu'on ne sait quelle perversité lui fait rechercher. Céphalopolis se veut d'une haute portée intellectuelle, son auteur n'a de prétentions que philosophiques et le lecteur, loin de céder aux attraits trompeurs du pittoresque, doit, comme on dit, se sentir « concerné ». En suggérant que ce livre pourrait bien être une critique « marcusienne » de notre société de consommation et devenir un classique de la science-fiction dans la ligne de Simak et de Bradbury — pas moinsse ! — l'auteur de la notice traditionnelle imprimée au dos de la couverture met bien les choses au point. Soyons sérieux ! En fait, les grands mots et les nobles intentions ne caractérisent ici qu'un article de mode, avec tout ce que l'expression implique d'artificiel et de mal fini. En se plaçant sous la bannière de la contestation. Céphalopolis veut exploiter, comme beaucoup de publications actuelles, la sensibilisation du public aux « événements » de mai et aux idées — bien souvent hypocrites — qu'ils ont fait flotter dans l'air. Il y a là une escroquerie. Il ne faudrait tout de même pas oublier que le thème d'un livre, fût-il celui de l'aliénation sociale de l'Individu, n'a jamais été un label de qualité. Quant à la science-fiction, dont l'éditeur voudrait nous faire croire qu'elle trouve avec Céphalopolis ses lettres de noblesse, elle n'a pas attendu Marcuse ou Machin pour critiquer la société telle qu'elle est ou telle qu'elle peut devenir.

 

Jacques CHAMBON
Première parution : 1/4/1969 dans Fiction 184
Mise en ligne le : 4/12/2002

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