BÉLIAL'
(Moret-Loing-et-Orvanne, France), coll. Une Heure-Lumière n° 37 Date de parution : 26 mai 2022 Dépôt légal : mai 2022, Achevé d'imprimer : mai 2022 Première édition Novella, 128 pages, catégorie / prix : 9,90 € ISBN : 978-2-38163-043-4 Format : 12,0 x 18,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
Couverture à rabats. Existe aussi en numérique au format ePub sans DRM (ISBN : 978-2-38163-044-1) au prix de 4,99 €. Dépôt légal à parution.
Quatrième de couverture
Une ville-monde.
Un immense ruban urbain apparemment sans fin bordé par les Voies – un chemin de fer – et le Fleuve. En son sous-sol, un métro. Et sous le métro… Bienvenue dans la Ville-Rue. Diego Patchen réside dans le quartier de Vilgravier, du côté du 10.394.850e Bloc. Amoureux d’une plantureuse pompière, affligé d’un père malade acariâtre, Diego vit d’expédients. Son activité favorite demeure toutefois l’écriture de récits spéculatifs, ce genre littéraire appelé « Cosmos-Fiction ». Un registre volontiers décrié, mais qui bénéficie d’un socle de lecteurs fidèles, et dans lequel les écrivains se plaisent à imaginer d’autres mondes, d’autres univers, aux configurations différentes… Et alors que Diego célèbre la sortie de son premier recueil, le voici bientôt invité à une croisière sur le Fleuve…
« Di Filippo à l’apex de son énergie créative idiosyncratique. »
LOCUS
[texte du rabat de la couverture]
Né en 1954 dans l’État du Rhode Island, et n’en ayant guère bougé depuis, Paul Di Filippo est à la tête d’une bibliographie comptant une douzaine de romans et une vingtaine de recueils, dont seule une poignée a bénéficié d’une traduction française. La faute, sûrement, au caractère de ses récits réputés peu aisés à traduire, dans lesquels il s’amuse à glisser nombre de références littéraires et déploie un travail linguistique sans égal. Lorgnant volontiers du côté du weird ou de l’histoire alternative, son œuvre, essentielle, demeure rétive à toute tentative de classification.
Critiques
Après les Conurbs qui s'étalent dans le cyberpunk, les monades qui s'élancent vers le ciel ou les silos qui s'enfoncent sous la terre, il semble que le prochain cauchemar architectural soit la ville linéaire si l'on songe au projet démeusuré imaginé par l'Arabie Saoudite : The Line.
Mais ce n'est pas dans cet esprit dystopique qu'il faut lire Un an dans la Ville-Rue, écrit il y a plus de vingt ans par Paul Di Filippo et enfin traduit par Pierre-Paul Durastanti. Au contraire, l'épicerie de Gimlett, l'échoppe d'Evenson, la cantine de Kerner, tout dans le décor et le métier de chacun nous immerge dans une sorte d'Amérique de la première moitié du XXème siècle. Une société qui n'existe qu'au long d'un ruban urbain infini, lequel s'inscrit lui-même dans une sorte de tunnel onirique : au-delà du fleuve d'un côté, des voies de chemin de fer de l'autre, et partout dans les cieux s'étend le domaine où errent des entités psychopompes, inaccessibles et omniprésentes. Et sous terre, sous le métro, semble se déployer encore un tout autre paysage.
Dans le 10394850ème bloc de cette avenue vivent Diego, un écrivain de « Cosmos-Fiction », et une poignée d'autres personnages dont la vie les mènent à fréquenter le gratin comme les arrières-salles des clubs de jazz, dont la fortune va leur faire connaître tour à tour la vie de bohème qui s'arrange de quelques activités illicites ou la réussite la plus éclatante. Point de Jean-Sol Partre dans ces lieux, mais les règles d'un monde apparemment absurde qui font sourire ou qui inquiètent, la présence importante du jazz, la truculence d'un personnage ou la passion d'un autre évoquent l'insouciance première de Colin, l'obsession de Chick, le drame qui ponctue la vie de Chloé ; L'écume des jours, moins fantastique mais plus étrange.
Au milieu de cet univers déjà dépaysant, l'ouvrage offre une réflexion sur la science-fiction, son lectorat, sa place dans la littérature. Ici comme là-bas, les expériences de pensée sont ghettoïsées, leurs auteurs sous-payés, et les éditeurs simplement soucieux de ne laisser échapper aucune possibilité de profit : « Nous sommes une maison au spectre large qui propose qualité aux élites et distraction aux masses. Ces "récits d'autres mondes" se vendent, aussi nous nous voyons dans l'obligation d'en publier. » Le reponsable du magazine pour lequel Diego écrit a quant à lui tout d'un nouvel Hugo Gernsback : « [...] si on oppose dépaysement et style, idées et poésie, je préfère le dépaysement et les idées. Quand un texte en possède une juste part, le style ne compte plus, ni dans un sens ni dans l'autre. » Au contraire de ces caractères certes outranciers, Diego campe un écrivain modeste et appliqué. S'il note bien sans cesse des idées extravagantes pour ses histoires, il chérit particulièrement la beauté des textes bien écrits. Paul Di Filippo, à l'instar de son héros, cisèle son récit, le dote d'un large vocabulaire, d'inventions langagières, d'accents propres à un quartier ou l'autre de cette rue qui résume un pays, voire un monde. Et en définitive offre, dans une jolie démonstration de l'alliance du style et des idées, une réponse à ceux qui persistent à ériger des murs entre les textes, là-bas comme ici.
Imaginez une ville composée de millions de pâtés de maisons (combien exactement ? Nul ne le sait), formant une Avenue limitée d’un côté par les Voies (ferrées), de l’autre par le Fleuve, artères de transport permettant à de mystérieux bienfaiteurs d’acheminer aux différents Arrondissements, qui ne produisent rien, tout ce dont ils ont besoin. Au-delà de ces deux artères vitales, il y a l’Autre Rivage et le Mauvais côté des Voies, séjour des âmes des morts que viennent chercher les Psychopompes planant sans cesse dans les airs sous les rais des deux « soleils » éclairant cet étrange monde. Dont les habitants humains savent qu’ils n’en sont pas les bâtisseurs, ne connaissent ni le début ni la fin de ce ruban d’asphalte, peut-être infini, et sont incapables de créer la moindre technologie (niveau début du xxe siècle), tout juste de la réparer ou de l’adapter.
Diego Patchen est un écrivain de Cosmos-Fiction (traduisez : Science-Fiction), genre regardé de haut car tentant d’imaginer des univers aux fondamentaux autres (chose amusante, ces contextes très exotiques pour leur auteur correspondent en fait souvent aux fondamentaux de notre propre monde !). Père malade, amoureuse exubérante, ami dans la panade, carrière littéraire qui finit enfin par décoller, nous suivons ses « aventures » finalement assez ordinaires, alternant tragique et comique, découvrant peu à peu la Ville-Rue. Attention toutefois au lecteur qui chercherait dans ce roman une explication aux mystères qu’il pose : il n’en trouvera aucune. Car l’essentiel ne réside ni dans leur résolution, ni vraiment dans l’intrigue. Le vrai intérêt de Un an dans la Ville-Rue est à la fois son contexte original, son style exquis et le miroir qu’il tend à la SF (celle-ci, ancrée dans le Réel, imagine l’Ailleurs, alors qu’ici, Diego, résidant dans l’Ailleurs, fantasme le Réel), et peut-être surtout à ceux qui l’écrivent et la publient. C’est avant tout une ode (peut-être autobiographique) à notre genre préféré dont il s’agit.
Le lectorat français connaît fort peu, et souvent mal, Paul Di Filippo, auteur pourtant fondamental dans tous les genres en -punk et critique incontournable. La faute à une édition française découragée par la complexité de sa prose, dont quiconque l’a déjà lue en anglais, tel votre serviteur, peut attester. Il faut donc rendre l’hommage qu’il mérite à Pierre-Paul Durastanti, à la fois pour être venu à bout des complexités (et il y en a !) de ce court roman, mais aussi pour avoir forgé une version française à l’élégance rarissime, ainsi qu’au Bélial’, qui va permettre à une nouvelle génération de découvrir Di Filippo.
Sans doute un peu moins apte à toucher un large public que le récent Le Serpentde Claire North (cf. Bifrost n°106), Un an dans la Ville-Rue est pourtant clairement, lui aussi, un des meilleurs crus de la collection « Une heure-lumière ».