ALBIN MICHEL
(Paris, France), coll. Albin Michel Imaginaire Date de parution : 31 mars 2022 Dépôt légal : mars 2022, Achevé d'imprimer : février 2022 Première édition Roman, 192 pages, catégorie / prix : 17,90 € ISBN : 978-2-226-46145-2 Format : 14,0 x 20,5 cm✅ Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
Le roman phénomène finaliste des prix Hugo, Locus
et Nebula. Lauréat du World Fantasy Award 2021
et New England Book Award for Fiction 2020.
Ella a un don.
Quand elle regarde un enfant, et avant que son nez ne se mette à saigner, elle sait s’il va devenir infirmier en gériatrie ou s’il va mourir avant l’âge de onze ans, étendu sur un trottoir, les yeux vers le ciel, fauché par l’incompréhensible guerre des gangs qui ensanglante son quartier depuis toujours.
Pirus, Crips, Bloods... la violence a tant de noms à Compton.
Quand Kevin, son frère, voit le jour en 1992, pendant les émeutes provoquées par l’acquittement des policiers impliqués dans l’affaire Rodney King, Ella sait déjà que sa famille va déménager de la Californie pour Harlem et qu’elle tiendra bientôt dans sa main sa première boule de neige. Mais quitter l’endroit d’où l’on vient ne permet pas toujours d’échapper à la violence et à l’injustice.
Ella a un don ; pour elle, pour Kevin, pour l’Amérique, sans doute le temps est-il venu de l’utiliser.
TOCHI ONYEBUCHI, diplômé de Yale, de la Tisch School for Arts, de la Columbia Law School et de l'Institut d'études politiques, en France, est un ancien juriste spécialisé en droits civiques. Auteur de plusieurs romans jeunesse remarqués, il a fait avec L'Architecte de la vengeance une entrée fracassante dans la littérature pour adultes.
1 - Gilles DUMAY, Avant-propos, pages 7 à 10, introduction 2 - « Je ne vois pas mention dans votre déposition du fait que vous êtes noir. » On ne peut pas construire un monde sans parler des races ("Where in your affidavit does it say you're Black ?" Why Worldbuilding Can't Neglect Race, 2020), pages 153 à 168, article, trad. Anne-Sylvie HOMASSEL 3 - « Je n'ai pas de bouche : et pourtant, il me faut hurler. » Sur la responsabilité de l'écrivain noir à l'heure des émeutes en Amérique (I Have No Mouth, and I Must Scream: The Duty of the Black Writer During Times of American Unrest, 2020), pages 169 à 186, article, trad. Anne-Sylvie HOMASSEL
Critiques
Lauréat du World Fantasy Award et du New England Book Award for Fiction pour la présente novella, Tochi Onyebuchi fait une entrée brutale dans la collection le département dirigé par Gilles Dumay, qui revient pour l’occasion en préface sur sa résolution de ne publier que des romans. Or, comme il l’avoue dans l’avant-propos, difficile de résister à la force de L’Architecte de la vengeance, dont la prose, ici restituée par Anne-Sylvie Homassel sans en affaiblir l’énergie, confine à la puissance d’une grenade de désencerclement. D’où ladite novella chez AMI.
Le texte de l’auteur américain d’origine nigériane oscille entre le fantastique et la dystopie, nous immergeant au cœur de ce qu’on appellera poliment la question noire nord-américaine. Un sujet d’affrontement remontant au moins à la période de l’esclavagisme. De cette époque, les Afro-américains ne semblent pas vraiment sortis, même si l’élection de Barack Obama a entretenu un temps l’illusion d’une issue optimiste. Le racisme systémique de la société américaine, la méfiance latente des blancs à l’encontre de la population noire, le cercle vicieux de la criminalité entretenu par les gangs et les violences policières récurrentes ont eu beau jeu de les ramener à la réalité de leur condition. Un contexte propice à la désespérance et aux flambées de violence émaillant une histoire des États-Unis passablement chargée sur ce point. Kev, le Riot Baby donnant son titre à la novella outre-Atlantique, est ainsi né durant les émeutes ayant suivi l’acquittement des policiers lyncheurs de Rodney King. L’événement pousse d’ailleurs sa mère et sa sœur, Ella, à quitter Los Angeles vers des cieux supposés plus cléments. Pas vraiment le genre du quartier newyorkais de Harlem où elles échouent. En proie à la menace des gangs et aux contrôles intrusifs de la police, Ella ne tarde pas à déraper, contenant de plus en plus difficilement son don pour la prescience et une aptitude à la télékinésie la poussant à décapiter les rats en guise d’exutoire à sa rage incontrôlable. Tiraillée entre les visions funestes que lui procure son talent et les pulsions violentes qui menacent sa raison, elle peine à maintenir la bulle protégeant son frère de la cruauté du monde. Son départ entraîne naturellement sa chute. Kev se retrouve interné à la prison de Rikers, où il paie chèrement sa dette à la société pour un cambriolage raté.
L’Architecte de la violence ne partage pas le goût pour la parabole d’Octavia Butler. Il lorgne davantage du côté de Norman Spinrad, voire de N.K. Jemisin, nommément remerciée à la fin du texte. Le roman de Tochi Onyebuchi est animé par une colère sincère, cette colère généreuse défendue par George Orwell dans ses essais. Ce n’est certes pas l’espoir qui taraude l’auteur américain, ce sentiment inodore et incolore prôné par une foi sourde et muette face aux figures multiples de l’arbitraire, toutes réductibles aux États-Unis à la couleur de peau. De tout cela, L’Architecte de la vengeance témoigne et bien davantage encore, exprimant une rage sourde dont on ressent le paroxysme tellurique jusqu’au plus intime de ses certitudes. De quoi ressortir sérieusement secoué – ou énervé. De quoi s’interroger sur les motivations de Tochi Onyebuchi. Cela tombe bien, car la novella est accompagnée de deux articles passionnants de l’auteur, à lire en regard de son texte pour comprendre les tenants et aboutissants d’une colère dont le mouvement Black Lives Matter ne semble que la partie émergée.
Inutile de dire que voici une lecture recommandée.