Elle est Jolie, jeune. C'est une des rares femmes qui se sont imposées dans le domaine de la bande dessinée. Elle a de l'argent, elle a réussi.
Lorsqu'elle quitte la rédaction du Journal de Nashville qui l'emploie, ce jour-là, elle est heureuse et gaie. Comment ne pas être heureuse et gaie, lorsque l'on part pour un ravissant bungalow en Floride, où l'amant du moment doit venir la rejoindre ? La Floride... Le soleil, la mer... L'amour et le corps de Gen...
Mais la Floride, le soleil, la mer, Gen, tout cela va s'éteindre brusquement pour Rachel, sur une petite route de montagne dans les collines du Tennessee. Et l'étrange, l'incroyable aventure commencera par la rencontre de ce gueux qui dort dans sa camionnette délabrée, en bordure de route. Ce gueux qui dort et respire normalement, mais qui pourtant pèse du plomb, qui est froid comme la Mort...
Les rééditions auxquelles se livre périodiquement le Fleuve Noir, tant de la collection « Anticipation » que, comme ici, de la collection « Angoisse », ont ceci d'intéressant, outre l'intérêt propre des ouvrages présentés, qu'elles permettent d'appréhender une strate particulière de l'œuvre d'un écrivain, strate passée sur laquelle il est souvent bon de revenir. Ainsi des quelques romans fantastiques écrits par Suragne, alors qu'il n'était pas encore Pelot. La peau de l'orage, Duz, aujourd'hui Je suis la brume, furent peut-être il n'y a guère trop vite lus et trop vite oubliés.
On découvre en y revenant que la fascination des Etats-Unis est une constante chez Pelot — jusqu'à influencer son écriture. Dernièrement, trois romans policiers de sa plume — L'été en pente douce 1, Pauvres z'héros 1 et La forêt muette 2 — semblaient dériver davantage de James Cain et de quelques autres spécialistes de l'Amérique profonde que du polar français, malgré leur insertion dans un cadre géographique hexagonal. On a répété à satiété combien Pelot utilisait des techniques d'écriture fortement américanisées, au confluent de Dick et de William Irish.
Ici, un genre aussi codé que le fantastique, historiquement situé pour l'essentiel en Europe, se voit transplanté en plein cœur du Middle West. Le récit évolue dans des décors de stations-service et de bourgades perdues qui évoquent davantage Steinbeck ou Caldwell (d'ailleurs nommément cité) que Nodier ou Hoffmann. En ce sens, l'inspiration de Pelot n'a guère varié, et il serait curieux de s'en étonner aujourd'hui alors que la tendance était parfaitement lisible voici plusieurs années déjà.
Cela dit, Je suis la brume est une agréable histoire thématiquement classée dans le registre « survie après la mort » avec un soupçon d'ésotérisme judéo-chrétien (le mythe de Lilith). La mort est la vraie vie, et c'est sur Terre que nous « vivons » notre véritable mort, littéralement infernale. Ce n'est pas bien original, mais le récit se tient et la technique permet à la sauce de prendre. Je suis intimement persuadé que c'est dans ce genre d'ouvrages sans trop de prétentions que gît le véritable Pelot.