Les Optimhommes sont virtuellement immortels : le plus vieux d'entre eux a 80 000 ans. Par contre, ils sont stériles et doivent éviter les émotions pour préserver leur équilibre enzymatique : ils ne mourront pas, pourvu qu'ils n'aient pas peur de mourir. Alors, ils ne parlent jamais de ces choses-là. Ils ont été jusqu'à développer un régime policier : les gens qui pourraient leur faire peur sont tenus de les adorer. Bref, les Optimhommes, pour être bien sûrs de ne pas vieillir, en sont arrivés à ne pas grandir non plus ; leur vie est longue, mais ce n'est pas une vie.
Le danger, pour eux, viendra-t-il des Cyborgs ? Produit d'expériences génétiques abandonnées, ceux-ci sont restés en vie au fil des âges. Ils en savent long sur les immortels et ils ont une stratégie : les amener à un état d'excitation tel qu'ils en perdront leur équilibre enzymatique. Ce serait la fin de leur vie et de leur pouvoir — au profit, bien sûr, des Cyborgs.
Heureusement, il reste encore des humains...
Frank Herbert n'est pas seulement l'auteur de Dune. Avant de réfléchir aux inconvénients du prophétisme, il avait un peu médité sur les inconvénients de l'immortalité. Le résultat, très convaincant, nous raconte un peu comment il faut s'y prendre pour ne jamais devenir Muad'Dib.
Qui dit Frank Herbert, le plus souvent, est en train de parler du roman Duneet de ses suites (ou bien de ses préludes produits par le fils, Brian Herbert, avec Kevin J. Anderson). La réédition toute récente de ces quatre romans « hors série », œuvres mineures certes, permet néanmoins un aperçu d'autres facettes d'un auteur assez complexe. [...] Les yeux d'Heisenberg, roman paru en 1966 dans la foulée de Dune, est beaucoup moins satisfaisant. Depuis 80 000 ans, les Optimhommes produits par les manipulations génétiques sont devenus quasiment immortels, mais stériles, et exercent une dictature sur le reste de la l'humanité à travers leur contrôle de la longévité et du droit à la reproduction. Une alliance entre Cyborgs et autres résistants humains cherche un moyen de subvenir l'ordre établi. Malgré quelques idées intéressantes, les personnages restent trop schématiques et l'intrigue trop confuse pour vraiment convaincre. [...] Voilà, quatre romans d'une qualité assez inégale, mais qui ont tous en commun une véritable capacité de provocation intellectuelle.
Dans sa préface au Livre d'or consacré à Frank Herbert (Presses Pocket), Gérard Klein parlait de l'« effet de moiré » stylistique obtenu par l'auteur en entrecroisant et en superposant des trames relativement simples. Ce faisant, le préfacier reconnaissait que le talent d'Herbert ne pouvait s'épanouir pleinement que dans des œuvres longues et toujours inachevées. Ainsi le prodigieux cycle de Dune. Voilà pourquoi sans doute Les yeux d'Heisenberg (écrit en 1966 et troisième roman de l'auteur) laisse cette impression d'inachevé, cet arrière goût de récit mal construit, voire même bâclé. Le lecteur peine à visualiser, à pénétrer ce monde que se partagent les Optimhommes, êtres immortels, hautains et maîtres de la planète, les Cyborgs, mi-hommes, mi-robots qui briguent le pouvoir, et les Ordinaires, simples esclaves frappés de stérilité. Pourtant, par sa réflexion sur l'immortalité et les manipulations génétiques, son intérêt tout écologique pour les interactions survenant, lors d'expériences, entre l'Homme et son environnement, sa dimension épistémologique et son contexte politique de lutte avec le pouvoir, Les yeux d'Heisenberg, riche de la thématique de l'auteur de Dune, est un roman profondément herbertien.