James BLISH Titre original : Black Easter or Faust Aleph-Null, 1968 Première parution : Doubleday, 1968 (expansion du texte paru dans If)ISFDB Cycle : After such knowledge vol. 2a
La sorcellerie n'est plus ce qu'elle était. Le magicien blanc n'imagine pas de calculer un horoscope sans consulter les satellites. Quant au magicien noir, c'est dans un palais italien qu'avec une précision d'industriel il enregistre les commandes et veille sur son chiffre d'affaires.
Il n'en faut pas moins pour rassurer Baines, le n° 1 mondial de l'armement. Les puissances nucléaires sont trop prudentes. Les guerres locales sont de petites affaires. Baines est inquiet pour l'avenir de sa profession et la magie est sa dernière carte.
Un tel client n'est pas un naïf. Il veut vérifier que ça marche. Et quand il a obtenu satisfaction, il dévoile l'objet du contrat principal. Une tâche si périlleuse que le sorcier, en application du Grand Concordat, demande le contrôle d'un magicien blanc.
Au cas où la situation lui échapperait.
Que se passerait-il si la démonologie et l'occultisme étaient des sciences comme les autres ? Si les sorciers pouvaient réellement invoquer les démons, l'armée américaine pourrait-elle leur barrer la route ? Cette inquiétante histoire, James Blish la racont en vrai pince-sans-rire. L'effet n'en est que plus saisissant.
J'ai toujours pensé qu'un ouvrage romanesque, quel qu'il fût, devait être porteur d'une sorte de nécessité interne, comme une mouvance ontologique qui en ferait une œuvre singulière. Cette nécessité peut résider dans ce qui est dit, comme dans la manière dont cela est dit. Elle peut également naître du projet général de l'auteur. Tous les grands livres la possèdent, et les œuvrettes pondues en série en sont rarement porteuses.
Pâques noires peut apparaître comme une Xe variation sur le large fonds magico-ésotérique qui alimente la création humaine depuis que la réflexion s'est portée sur notre raison d'être en ce monde. Magicien blanc et magicien noir s'y livrent à l'éternel combat manichéen du Bien et du Mal. D'évidence, Blish était un érudit en la matière (n'est-il pas l'auteur d'une biographie de Roger Bacon ?) Mais même le lecteur peu attiré par ces sujets devrait trouver ce livre attachant, car la manière est inhabituelle : ici, magie noire comme blanche utilisent toutes les ressources technologiques modernes, de la météorologie à l'informatique. Et c'est un marchand d'armes, Baines, qui se trouve à l'origine du conflit ultime : Armageddon ! (Ce qui constitue un symbole dépassant de loin le récit purement fantastique, je le signale en passant aux critiques qui ne voient dans le genre que poussière et réaction.) Si l'argument demeure donc assez mince (quoi de plus convenu que les trois mots qui ferment le livre : « Dieu est mort » ?), Pâques noires pour être d'une honnête moyenne n'en pose pas moins des questions intéressantes. En cela figure sa nécessité.
Ce roman, comme sa suite 1, contribue à clarifier ce qui devrait être évident depuis longtemps, à savoir qu'un « genre » — si tant est qu'il en existe — se définit moins par sa thématique que par son traitement textuel. Pâques noires argumente sans doute d'éléments traditionnellement fantastiques, mais son énonciation est quant à elle, à la base, moins fantastique que technicienne (la description des pratiques magiques est d'ailleurs livrée davantage comme une suite de techniques précises). Dira-t-on que ces éléments jettent un pont entre le fantastique et la SF ? Cette conclusion serait sans doute de peu d'intérêt — et ce genre d'ouvrage n'est pas neuf. Mais il y aurait une analyse à fonder sur ces prémisses, qui verrait mettre en lumière une spécificité réelle du discours, déterminant en fin de compte ce qui dans celui-ci n'est pas réductible à autre chose. On pourrait alors, enfin, dépasser le descriptif thématique qui tient lieu de théorie à la SF.
Notes :
1. Le lendemain du Jugement dernier, Presse-Pocket n° 5014.