L'Inexistence du titre, c'est la cité principale d'une planète au climat hivernal, Chute de Glace. Cette ville est construite tout autour de ses glissières où patinent les habitants, répartis en différents groupes, tous hiérarchisés avec Seigneurs, Maîtres et novices. Au début du roman, Mallory Ringess, le personnage principal, vient tout juste d'être promu pilote. Les impétrants de cet ordre ont pour mission de découvrir de nouveaux itinéraires pour se rendre d'un monde à l'autre, au sein de la Multiplicité qui gouverne l'univers d'Inexistence. Inspirée de la théorie mathématique des ensembles, elle donne l'assise pseudo hard-science du roman, permettant à l'auteur de nous gratifier de passages jargonneux du plus bel effet, assez savamment distillés par Zindell pour constituer l'un des charmes de la lecture.
Au cur de ce livre, il y a la quête existentielle de Mallory, qui s'interroge sur les origines de l'humanité. Ainsi, au gré de voyages, de rencontres et d'épreuves qui sont autant d'apprentissages, va-t-il peu à peu découvrir d'où vient Inexistence. La quête sera bien évidemment « extérieure » – exploration de l'espace, rendu infini par la multiplicité, ou des étendues glaciaires à perte de vue – tout autant qu'intérieure, puisque Mallory est un rebelle qui conteste en permanence l'ordre établi. Mais il est des rebelles qui révolutionnent leur monde et lui font franchir un pas décisif...
Ce roman est une uvre foisonnante. Par sa taille, tout d'abord, puisque avec ses six cents pages bien tassées, il se hisse d'emblée dans la catégorie des livres-univers, à l'instar de Dune. Mais encore faut-il, pour qu'il gagne ses galons, que cet univers soit srédible et son exploitation passionnante. Contrat rempli sur les deux points.
On l'a déjà dit, la théorie mathématique qui sous-tend l'univers d'Inexistence est de la plus belle eau. Et comme le lieu central du roman, l'endroit où se noue et se dénoue l'intrigue, est la planète Chute de Glace, celle-ci se doit d'être à la hauteur. Elle est donc décrite avec précision par l'auteur, et hautement crédible, que ce soit du point de vue géologique, biologique ou social. Le fait que l'auteur ait étudié tout à la fois la philosophie, la physique, l'anthropologie, la linguistique et les mathématiques n'y est sans doute pas étranger. On n'oubliera pas de sitôt cette planète glaciaire, pendant presque parfait du désert de Dune (encore).
Le côté passionnant du livre, quant à lui, est surtout lié aux personnages – et à leurs conflits. Au premier rang, Mallory Ringess. Il est dès le départ, on le sent, destiné à devenir une légende. Mais l'accession à ce statut ne se fait pas sans heurt : il est si impétueux qu'il crée de nombreux problèmes, dont certains dramatiques, par sa maladresse et sa volonté de rébellion contre l'ordre établi. Ces constantes oscillations entre le médiocre et le divin ne remettront néanmoins jamais en cause sa destinée grandiose. Les autres protagonistes, pourtant assez nombreux, sont également bien campés, et donc tout sauf des faire-valoir : Zindell sait parfaitement nous faire partager leurs envies, que celles-ci soient affichées ou au contraire gardées secrètes. Ces personnages vont tous traverser des épreuves qui forgeront leur caractère, même si certains sont déjà assez âgés au début du livre, et ce bildungsroman multiple revêt d'autant plus d'intérêt qu'il se greffe sur une quête des origines et de la condition même de l'être humain. L'auteur s'autorise pas mal de digressions, preuve qu'au-delà du rythme soutenu des événements et des visions « hard science », c'est le statut de l'Homme dans son univers qui est au centre de ses préoccupations.
Bref, Inexistence mérite amplement la lecture, et se range même parmi les tout meilleurs romans des années quatre-vingt. Déjà édité en son temps par J'ai Lu (en 1989), il inaugure une tétralogie, dont les autres tomes n'ont jamais été publiés en France (le deuxième tome, The Broken God, étant paru bien après 1989 aux Etats-Unis). Aussi peut-on se réjouir que l'éditeur, Florent Massot Présente, semble avoir l'intention de donner suite à ce coup d'éclat.
Bruno PARA (lui écrire)
Première parution : 1/9/2002 nooSFere