Xavier Legrand-Ferronnière poursuit son impeccable travail éditorial qui valorise les chefs-d'œuvre des XIXe et XXe siècles sous-estimés. De Lord Dunsany à James Hogg, de Machen à Walter Scott — La Veuve des Highlands et autres contes fantastiques est à paraître, des terra incognita fantastiques s'ouvrent au lecteur actuel, heureux de réévaluer ses lectures habituelles, de rétablir des chaînons manquants dans l'imaginaire qui l'attire. En l'occurrence, Les Confessions d'un fanatique (1824) est un texte important tant pour les représentations élusives ou précises du diable que pour la stratégie narrative adoptée, digne des fictions modernes qui jouent avec les attentes du lecteur.
Tout commence, dans l'Écosse des années 1700, par un épisode comico-sérieux pour s'achever dans des circonstances sanglantes. Colwan, hobereau de Dalcastle, épouse une jeune fille d'obédience calviniste, guidée par l'excessif pasteur Wringhim. Colwan a du mal à exercer son droit marital, mais finit par avoir deux fils. L'aîné, George, est son portrait craché ; le cadet, Robert, suit plutôt les préceptes de Wringhim : ils en font un garçon sectaire, vindicatif, surtout envers son frère. La haine du jeune fanatique prend des proportions inquiétantes sous l'influence d'un étrange personnage, capable de changer d'apparence à volonté — le lecteur l'assimile vite à Satan. L'inévitable advient : le fratricide. Dès lors, Robert perd le contrôle de son existence, tombe dans la déchéance. Seule échappatoire : s'abandonner corps et âme à son alter ego diabolique...
Non content de livrer une intrigue passionnante, Hogg la transcrit dans un récit double. L'Éditeur assume le premier, dans une version policée, urbaine, qui met à distance le surnaturel. Le second récit, enchâssé, correspond aux mémoires rédigés par Robert Colwan. Le style est moins sûr, la vérité plus ambiguë ; des pages entières s'apparentent à un délire schizophrène, avec des échappées dans l'imaginaire du double. Indécis, le narrateur convoque des on-dit ruraux, rapporte les contes obscurs débités dans un dialecte pittoresque — mention spéciale pour la légende d'Auchtermuchty. Le roman tire ainsi le meilleur parti de la confrontation entre l'esprit des Lumières et la crédulité immémoriale. À la façon de Melmoth, l'Errant (1820) de Maturin, le livre de Hogg est une marqueterie de tons, de textes (du journal à la lettre envoyée au Blackwood's Magazine), de discours (écrits ou oraux) qui, dans sa profusion, questionne le statut de la fiction. À lire aussi plusieurs versions d'un même événement, on assiste à une peinture sociale décalée, peu conventionnelle... une dimension idéologique soulignée dans la sérieuse préface de Douglas S. Mack.
Le « Berger d'Ettrick » offre une œuvre majeure qui transpose la tradition orale écossaise dans un récit complexe : la forme, hétérogène et sans réelle autorité omnisciente — Hogg apparaît sous les traits d'un berger tour à tour fiable et trompeur — prolonge la dénonciation de vérités absolues et l'indétermination attachée au fantastique. À coup sûr, la réédition — une réhabilitation, étant donné la collection de qualité qui l'accueille — de cette diablerie littéraire ne finira pas d'enthousiasmer les tenants de la narratologie et de ravir les lecteurs avides du charme des contes anciens et du surnaturel soi-disant suranné.