Jim Todhunter veut devenir Guide. Il aidera les gens à se préparer à la mort. C'est grâce aux Guides que chacun, désormais, accepte sereinement la perspective de sa propre fin. On a cessé de nier l'évidence. Du coup, la violence ne sert plus à rien. Même les guerres ont disparu.
Mais quand Jim entre en fonctions à la Maison de la Mort, il assiste à un événement stupéfiant : on tue un homme sous ses yeux, pour la première fois depuis des générations. Et le plus troublant, c'est que le coupable, un fou nommé Weinberger, prétend avoir tiré pour sauver sa victime, qui selon lui attire un étrange prédateur venu d'une autre dimension : la Mort elle-même.
Peu à peu, il en vient à partager la passion de l'assassin : il veut chasser la Mort, la capturer, la mettre en cage. Il entreprend un extraordinaire voyage au bout de lui-même et au delà des vivants.
Ian Watson est un écrivain particulièrement original : passionné de communication et d'ethnologie, il pense que le monde court à sa ruine, mais pourrait être sauvé par une éducation différente, qui nous permettrait de percevoir l'Autre Réalité. De livre en livre, il explore les perceptions limites. Il signe ici son roman le plus audacieux.
Depuis L'enchâssement, Ian Watson explore un univers totalement en marge et agencé autour de préoccupations philosophiques ou métaphysiques étrangères à la plupart des autres écrivains, britanniques ou non. Cette œuvre différente se développe avec une discrétion flegmatique et subtile non dénuée d'humour qui est l'exacte manifestation de la personnalité au quotidien de son auteur. On connaît l'influence de la culture japonaise et de la linguistique sur Watson, on connaît son goût pour la sophistication de la pensée et du style. La mort en cage, de ce point de vue, se rattache directement aux splendides nouvelles qui composent Chronomachine lente.
Ce qui distingue cependant ce livre de ceux qui l'ont précédé, c'est l'ampleur de son propos. Non pas que Watson se soit auparavant laissé aller à la facilité — simplement, La mort en cage va ENCORE plus loin, plus loin que, par exemple. Le monde divin. Il s'agit ici de rien de moins que la mort, littéralement traquée dans toutes ses dimensions (sociale, individuelle, mythique, théologique, etc.). Dans un univers où la guerre n'existe plus, où la violence même fait figure d'anachronisme, le problème de la mort se pose de façon brute, pure et directe. Watson a débarrassé son propos de tout ce qu'il avait d'annexé pour aller à l'essentiel. Oh ! il y a une histoire, et celle-ci est peut-être la plus claire que Watson écrivit jamais : peu de personnages, des rapports psychologiques bien définis, un lieu précisément cerné... Sur ce canevas limpide, lui aussi propice à l'expression de l'essentiel, notre chasseur d'idées exécute un motif audacieux.
Résultat ? Conclusions ? La mort est un papillon. Un papillon rouge. La force du livre tient d'abord à ce qu'il rend cette hypothèse vraisemblable, et ensuite à ce qu'il la nie du même mouvement en se retournant dans ses dernières pages en un numéro de haute voltige que n'aurait pas renié Dick. La mort en cage acquiert ainsi la profondeur d'un mythe réellement moderne, c'est-à-dire à la fois neuf, poignant et clos. La technologie y apparaît comme l'outil de la fiction : fiction intérieur au livre (SF) mais aussi fiction collective, archétype. Grand héritier de Jung, Watson parle de et dans l'inconscient collectif. En ce sens, et par son seul talent, il s'est élevé à un niveau supérieur à celui du simple « raconteur d'histoires ». Le lecteur de La mort en cage ne peut qu'être ébloui par l'évidence du texte, comme si le roman cristallisait d'archaïques fantasmes personnels et leur donnait un langage approprié. C'est, peut-être, l'une des fonctions primordiales de la SF qui joue là — dans la mesure où la littérature est fonctionnelle. En tout cas, Watson confirme ici qu'il est l'un des écrivains majeurs de notre temps ; il est urgent que les lecteurs s'en rendent compte.