Robert SHECKLEY Titre original : The Alchemical Marriage of Alistair Crompton / Crompton Divided, 1978 Première parution : Londres, Angleterre : Michael Joseph, 28 mars 1978ISFDB Traduction de Rémi LOBRY Illustration de David B. MATTINGLY
Né à New York en 1928, il exerce très tôt divers métiers : paysagiste, barman, guitariste, etc. Après son service militaire, il s'inscrit à l'université de New York et commence à écrire des nouvelles. Diplômé en 1951, il travaille quelque temps dans l'industrie aéronautique avant de se consacrer entièrement à la littérature, avec le succès que l'on sait.
À onze ans, j'ai voulu étrangler une petite fille. Comme je n'y arrivais pas, j'ai essayé de lui fracasser le crâne. Pourtant, je ne lui voulais aucun mal, à cette gamine. Au contraire, je l'aimais, et j'attendais d'être grand pour l'épouser !
"Schizophrénie aiguë", ont dit les médecins, et j'ai dû subir un clivage intégral : deux parties de ma personnalité ont été placées dans des androïdes.
Le Dr Vlacjeck m'a mis en garde : "Toute tentative de réconciliation vous conduira à la folie ou à la mort." Mais aujourd'hui j'ai trente ans, et la loi m'autorise à récupérer les parties de moi-même dont j'ai été amputé. Elles se trouvent sur les planètes Aaia et Ygga et j'ai décidé d'aller les chercher.
La folie ou la mort ? Tant pis, je prends le risque. De toute façon, je mène déjà une vie de fou !
Voilà donc le Sheckley dément qu'on annonçait ici et là. Il est vrai qu'on éprouve à le lire un plaisir typique : un Sheckley de bonne cuvée, presque aussi fou qu'Optionsdont on a récemment parlé. Reste cependant un petit goût de « déjà vu » — au moins pour les lecteurs de longue date. « Déjà vu » plaisamment pris au compte du texte, car l'un des « moi » d'Alistair se permet de nous entraîner dans une curieuse symphonie mémorielle (p. 93). Qui, dans la nouvelle originelle s'intitulait précisément « déjà vu ». Car ce nouveau roman est — bien que la chose soit pudiquement passée sous silence — l'expansion de Join Now(Galaxy dec. 1958) repris et traduit deux fois l'une dans l'ancien Galaxie (n° 63 fév. 59) sous le titre Tout ou rien, l'autre dans Galaxie n° 16, en 1965, sous le titre Les Quatre éléments. Certes, la réécriture sous forme de roman a modifié certains traits : le personnage clivé d'Alistaire est bien mieux dessiné, tout comme celui de Loomis le sensuel ; de nouvelles scènes fort drôles agrémentent le récit, et la fin est originale, comme le début : on y retrouve cet humour triste proche de celui des gags de Laurel et Hardy, qui provoque et empêche tout à la fois l'émotion. Mais pour le reste, à part de menus changements, l'armature de la nouvelle demeure. Il s'agit d'un futur où, pour traiter la schizophrénie, on dissocie les diverses tendances, on les greffe sur des corps de simili androïdes et on les expédie loin de la Terre, où reste le « moi » principal. A l'âge légal, celui-ci peut tenter de réintégrer ses divers « moi » c'est à cette quête qu'on nous convie, elle est drôle, fertile en rebondissements, chacun des « moi » voulant garder le pouvoir. Ce n'est pas la première tentative de Sheckley dans ce thème : qu'on se souvienne d'Invasion avant l'aube (Les Univers de R. Sheckley CLA) ou de Transfert stellaire (Dimension des miracles Laffont). Mais c'est peut-être la première fois où il le traite à fond, avec son sens aigu de la drôlerie. Cela nous change agréablement des autres vieux marcheurs sur le chemin de la quête d'identité. Pour conclure : un thème intéressant, un récit riche et plaisant, qui ravira les lecteurs qui le découvrent et rappellera de bons souvenirs aux autres, tout en leur permettant de mesurer à la fois la continuité et le changement chez ce diable d'auteur.