Robert SHECKLEY Titre original : Pilgrimage to Earth, 1957 Première parution : New York, USA : Bantam Books, octobre 1957ISFDB Traduction de Jean-Michel DERAMAT
DENOËL
(Paris, France), coll. Présence du futur n° 43 Dépôt légal : 4ème trimestre 1971 Recueil de nouvelles, 256 pages, catégorie / prix : 2 ISBN : néant Format : 11,0 x 18,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
• Les hommes de demain disposeront-ils d'appareils capables d'écarter immédiatement
d'eux tout danger ?
• Après tout, pourquoi les robots n'auraient-ils pas le coeur tendre ? Pourquoi les fiancées envoyées par caisse frigorifique ne pourraient-elles pas être adorables ?
• Ces questions et beaucoup d'autres, Robert Sheckley se les pose au long de ces quinze nouvelles d'une étourdissante invention. II y répond toujours avec humour, même lorsqu'il ne cache pas son inquiétude.
Parmi les auteurs attitrés de la défunte revue « Galaxie », l'un des plus doués, l'un des plus personnels aussi, était Robert Sheckley. Il fut un temps où chaque numéro ou presque de cette revue nous apportait le Sheckley traditionnel, et c'était un régal constant pour les amateurs. La productivité de Sheckley à cette époque était intense, puisque de 1953 à 1959, sur un total de 65 numéros, trente-sept nouvelles de lui (ainsi qu'un roman) parurent dans « Galaxie ». Puis le magazine disparut, mais aujourd'hui Sheckley continue d'écrire régulièrement dans le « Galaxy » américain.
Les textes originaux de la plupart de ces récits, joints à certains provenant d'autres revues, ont alimenté quatre recueils aux U.S.A. : « Untouched by human hands » (1954), « Citizen in space » (1955), « Pilgrimage to Earth » (1957) et « Notions : unlimited » (1960). C'est du troisième d'entre eux que Denoël nous offre aujourd'hui une traduction. Sur les quinze nouvelles qu'il comporte, il en est assez peu qui soient inédites. Le nombre de celles antérieurement parues dans « Galaxie » est en effet de huit, auxquelles il convient d'ajouter une neuvième, publiée par nous-mêmes dans « Fiction ». À titre documentaire, voici les références exactes de publication :
« Pèlerinage à la Terre » (« Fiction » n° 53, sous le titre « Amour et Cie ») ;
« Tout ce que nous sommes » (« Galaxie » n° 41, même titre) ;
« Le corps » (« Galaxie » n° 30, sous le titre « Métamorphose de Meyer ») ;
« Modèle expérimental » (« Galaxie » n° 36, sous le titre « La dernière découverte du Professeur Sliggert ») ;
« Le fardeau des humains » (« Galaxie » n° 37, même titre) ;
« Protection » (« Galaxie » n° 46, sous le titre « Défense de sinuriser ! ») ;
« Le clandestin » (« Galaxie » n° 25, même titre) ;
« Une tournée de laitier » (« Galaxie » n° 40, sous le titre « Rien n'est simple dans la Galaxie ! ») ;
« La révolte du bateau de sauvetage » (« Galaxie » n° 19, sous le titre « Le vieux rafiot trop zélé ») ;
Restent six histoires présentées pour la première fois en français : « Piège », « Service de débarras », « Peur dans la nuit », « La terre, l'air, l'eau et le feu », « L'Académie » et « Les grands remèdes ». Six nouveautés sur seize récits, c'est une relativement faible proportion, et c'est là le seul reproche que l'on pourrait faire au volume. Reconnaissons qu'il était difficile à l'éditeur français d'éviter de l'encourir, la situation étant la même pour chacun des recueils. Tout au plus peut-on regretter qu'il n'ait pas choisi de publier « Untouched by human hands », qui reste sans doute le meilleur ouvrage de Sheckley (quoique le niveau des autres soit de peu inférieur).
Cela dit, faut-il rappeler que les récits de Sheckley se distinguent par une originalité de facture, une fantaisie imaginative, un charme et une saveur qui n'appartiennent qu'à eux ? Ce sont des fables des temps futurs, à la moralité doucement ironique, et dans le déroulement desquelles abondent les trouvailles de détails, les petits gags dont Sheckley a le secret et que personne d'autre n'a su imiter. C'est une place à part que Sheckley occupe dans la science-fiction américaine. Auteur mineur, certes, et rarement profond, fait pour la nouvelle plutôt que pour le roman, enclin à la longue à certaines facilités, mais qui possède le don d'insuffler de la fraîcheur aux sujets les plus anodins, et de tirer parti de chaque situation en l'envisageant sous un angle cocasse.
La philosophie de Sheckley, s'il en a une, peut se résumer ainsi : le progrès ne servira pas l'humanité. Ce n'est pas une vue très originale. Mais elle n'est pour lui qu'un prétexte à se livrer à son divertissement favori : nous montrer des hommes de l'avenir, des hommes moyens à la mentalité banale, aux prises avec des machines que leur perfection technique n'empêche pas de se détraquer, ou avec des problèmes extra-terrestres pour lesquels ils ne sont pas adaptés. La vision de Sheckley participe du merveilleux ; il ne s'embarrasse pas de justifications scientifiques, ses machines et ses planètes sont purement imaginaires et fantaisistes. Elles représentent l'irruption d'un fantastique loufoque dans un univers futur au fond bien quotidien. L'admirable, c'est que ce thème assez simpliste ait pu être exploité par Sheckley sous tant de variations inattendues et toujours renouvelées.
La lecture – ou la relecture – des nouvelles réunies dans ce recueil est donc vivement recommandée, En outre, la version française qui nous est ici donnée a l'avantage d'être débarrassée de certaines absurdités de traduction, dont « Galaxie » avait le triste privilège. Cela mis à part, il faut signaler que le texte en est souvent identique, à quelques variantes près, à celui de « Galaxie ». Flemme du traducteur ou surprenante coïncidence ?
Alain DORÉMIEUX Première parution : 1/1/1961 Fiction 86 Mise en ligne le : 29/1/2025
Dans les années 1973/74, Lafferty avait fait dans l'édition SF de notre pays une impressionnante percée avec quatre romans traduits en moins de dix-huit mois 1. Le terrain avait été bien préparé, il est vrai, par Galaxie qui avait publié la plupart de ses nouvelles parues en français. Est-ce la disparition de notre consœur ?... quoi qu'il en soit, le boom laffertien fut sans lendemain, la signature de notre homme n'apparaissant depuis que très épisodiquement, dans quelques anthologies. Lieux secrets et vilains messieurs arrive à point pour nous rafraîchir la mémoire, pour nous replonger dans l'univers fou, fou, fou de Raphaël Aloysius Lafferty. Et ce, seize fois 2.
« Sur le plan de l'énormité du talent, Lafferty est ce qui est survenu de plus excitant depuis vingt-cinq ans (...) Des années lumières au-delà de ce que n'importe lequel d'entre nous essaie d'écrire ». Bigre ! Et de qui sont ces lignes définitives ? D'Harlan Ellison, pas moins 3. Il faut dire que la science-fiction de Lafferty ne ressemble à aucune autre. A vrai dire, comment pouvez-vous vous prénommer Aloysius et écrire de la SF comme le dernier des heinleins ? Lafferty c'est l'insolite dingue, l'humour déroutant, l'érudition infernale mâtinée d'une verve canulardesque, l'hermétisme le plus agaçant s'accouplant avec la loufoquerie la plus totale. Tout Lafferty procède de l'univers parallèle : L'inspiration kaleïdoscopique, l'écriture en folie mais d'une rare précision (« Ma passion c'est la langue. N'importe quelle langue »), la logique inimitable. Science-fiction éthylique ? Pourquoi pas, si l'on en croit l'auteur : « j'ai beaucoup bu pendant des années et y ai renoncé il y a six ans. Ça a laissé un vide : quand on abandonne la compagnie des buveurs les plus intéressants on renonce à quelque chose de pittoresque et de fantastique. Alors j'y ai substitué la science-fiction » 4. Science-fiction baroque, saugrenue et incongrue où des îles de marbre flottent dans le ciel (pour construire une pagode il n'y a qu'à attendre que l'une d'entre elles se pose à l'endroit voulu, et finir de la sculpter), où le monde pivote parfois sur ses gonds présentant tantôt une face, tantôt l'autre, où une société secrète dont le nom de code est Crocodile (vieille de 8 809 ans selon certains, 7 349 si l'on se sert de la chronologie courte) gouverne le monde etc.
Science-fiction ésotérique aussi, au goût prononcé pour le secret et la parabole abstruse qui laisse parfois — souvent — le lecteur perplexe. Là n'est pas le moindre charme de la prose laffertienne, mais aussi ses limites, irritantes, car n'entre pas qui veut dans l'univers d'Aloysius. Et seize délires à la file, sans souffler, c'est beaucoup. Aussi, au sage conseil du dos de couverture « Raisonneurs s'abstenir ! », j'ajouterais cet autre : « A déguster lentement, par petites lampées... »
Les hasards de l'édition font parfois bien les choses (mais est-ce bien un hasard ?) : le même mois que le Lafferty, sort en effet la réimpression -sous nouvelle couverture signée, comme d'habitude, Stéphane Dumont -du Pèlerinage A la Terre de Robert Sheckley, cet autre humoriste de la science-fiction, lui aussi vieil habitué de Galaxie. Le recueil n'a pas pris une ride et la machine scheckleyenne tourne à plein rendement, stigmatisant l'american way of life et l'homo américanus avec cette ironie mordante propre à « l'enchanteur paranoïaque » 5 et ce goût pour les univers absurdes où les bateaux de sauvetage se révoltent contre leurs occupants, où les épouses « modèle-pionnier » sont livrées congelées et où les rencontres du 3e type ne se passent pas comme au ciné !