Les chasseurs comme Cutlass traques leurs proies. Les tollmen, c'est différent. Autrefois, ils percevaient le péage à l'entrée des autoroutes. Puis sont venus les tremblements de terre et San Francisco s'est transformé en archipel. Les tollmen sont restés, rançonnant les voyageurs et tenant le pays. Mais les marées folles rongent leur domaine, et la racaille demi-nue des ruines n'a plus rien à leur donner.
Le gouvernement y cherche un moyen de surprendre les mystères des Supérieurs. La prime attire tous les pouilleux d'échangeurs, tous les grouilleurs de ponts suspendus, toute la vermine des cimetières de bagnoles... et aussi Brebt Cutlass, le tueur au demi-sourire. Dans ce monde sans pitié, il faut savoir pourquoi on se bat. Seulement, il y a aussi des secrets qui font mal.
Pierre Pelot, né en 1945, a passé toute sa vie dans une vallée industrielle des Vosges gravement touchée par la crise et où les gens s'accrochent à la vie malgré l'indifférence parisienne et gouvernementale. Il est bien placé pour évoquer, dans le cycle des Hommes sans futur, la souffrance des derniers humains dans une planète occupée par des mutants indifférents à leur sort.
Aujourd'hui Pierre Pelot a complété son intense capacité d'écriture efficace d'une sensibilité non moins intense envers les franges les plus désespérées de l'espèce humaine. Et sans doute, de cette écriture de la déchéance, de la démerde et de la détresse, le cycle des Hommes sans futur est-il le plus ample dans sa vision. Au cœur de ses autres ouvrages, en effet, ce sont des individus ratés, déchus de la norme sociale, refusés de la société bien-pensante, que Pelot choisit de mettre en scène. Il s'agit bien d'une littérature du quart-monde, qui parle au nom de ceux-là qui vivent (dixit Pelot) « dans les souterrains des civilisations industrielles avancées » : l'auteur s'inscrit profondément dans ce choix qui est davantage qu'esthétique et pas du tout gratuit (la prise qu'exerce son écriture sur le lecteur ne permet pas d'en douter). Mais avec les Hommes sans futur, la variation d'ampleur et de noirceur est de taille : l'humanité tout entière glisse dans la catégorie des rejetés. Les Supérieurs sont apparus parmi les hommes, et ceux-ci régressent lentement au rang d'espèce en voie de disparition survivant provisoirement, de plus en plus sauvage. Le western se situait à la frontière de la civilisation : les mangeurs d'argile sont au-delà de toute civilisation.
Le chien courait sur l'autoroute en criant son nom a pour cadre l'archipel qui a succédé à San Francisco, poussière d'îles et de fragments d'autoroutes Au large, les constructions des Supérieurs. Et la lutte dérisoire pour un peu de pouvoir entre les tollmen et les habitants des îles. Brent Cutlass est un tueur, il cherche le chien échappé au monde des Supérieurs, le chien qui parle. Beaucoup de gens veulent le chien pour en tirer de l'argent, mais Cutlass le cherche car il a peut-être hérité de l'esprit de Jane Hearas, son amour disparu. Les affrontements seront brefs, frénétiques et violents dans ce crépuscule de l'homme. On se bat seulement pour se prouver qu'on existe encore, que la pourriture n'a pas tout à fait gagné. Déchéance, angoisse et mort. Cutlass ne veut pas renoncer. Il veut que les Supérieurs lui rendent Jane. Et il en mourra. On peut se demander si Pelot ira encore plus loin. La sérénité semble avoir totalement disparu de son univers. Tout est perdu, tout est fini — peut-être depuis toujours. Ce n'est pas gai, mais diablement prenant. Pelot sort de son cauchemar par l'écriture. Nous, nous y plongeons.