Personnage familier venu d'un lointain passé et perpétuant sa vie dans l'imaginaire de nos sociétés modernes, le nain n'en est pas moins méconnu et bien peu étudié jusqu'alors. Qui est-il ? D'où vient-il ? Puisant dans les littératures médiévales, mais aussi dans les contes, les légendes et les mythologies, Claude Lecouteux, éminent spécialiste du Moyen Age, a relevé les images, les situations et les usages gravitant autour de cet être singulier. L'auteur met au jour tout un monde de croyances disparues, souvent occultées par l'Eglise ou simplement englouties par le temps. Loin d'être des fictions ou des superstitions, les nains seraient liés à la fertilité, à la fécondité, à la mort et à ce culte des ancêtres dont on connaît l'importance dans notre ancien Occident. Et nous redécouvrons ainsi leur signification religieuse que nous avions perdue.

     Fourmillant dans les traditions populaires, lutins, follets, kobolds ou duses, nains et elfes de toutes sortes, laissent entrevoir comment, en dépit de la culture chrétienne, le paganisme parvint à se maintenir dans les campagnes jusqu'à l'aube de l'ère industrielle.

     Claude Lecouteux est professeur de littérature et de civilisation du Moyen Age à l'Université de Paris IV-Sorbonne. Il a déjà publié aux Editions Imago : Fantômes et Revenants au Moyen Age (1986) ; Fées, Sorcières et Loups-garous au Moyen Age (1992) ; Démons et Génies du terroir au Moyen Age (1995) ; Mélusine et le Chevalier au cygne (1997) ; Chasses fantastiques et Cohortes de la nuit (1997) ; Histoire des vampires (1999) ; La Maison et ses génies (2000) ; Le Livre des grimoires (2002) ; Le Mort aventureux, roman (2003).

     Les Editions Imago ont un catalogue en apparence succinct, qui n'en rassemble pas moins des études essentielles sur des sujets fascinants comme ceux des empereurs fous, des sorcières ou encore des thèmes plus spécifiques : les résurgences du dieu Pan en psychopathologie (un ouvrage de James Hillman), l'alchimie selon Jung (le Psychanalyse et Imaginal de Pierre Solié). La qualité de ces livres est de faire de l'érudition non pas une fin en soi, mais le moyen de comprendre, à partir d'une thématique révélatrice, les mécanismes de l'imaginaire et de la création collective.

     Une étude récente, due à Claude Lecouteux, offre un excellent exemple de cette démarche, appliquée à un objet qu'intuitivement on croirait simple, mais qui, à la réflexion, prend vite des allures énigmatiques. Car le personnage galvaudé du nain, et celui déjà moins net de l'elfe ont vu leur signification se diversifier puis se diluer, et enfin se réduire à des motifs creux. La force de Lecouteux est de remonter imparablement aux sources. Partant des trois grandes littératures médiévales et de légendes précises (celle d'Auberon, celle d'Alberich), il exerce ses talents de comparatiste non pas tellement pour faire la nomenclature des images (serviteurs fiables ou malins, toujours comparses dans le domaine roman ; occupants d'un royaume des ténèbres dans les textes germaniques ; habitants d'un monde aquatique selon le corpus calte), mais pour repérer, au-delà des évolutions ponctuelles, les traits communs à des croyances populaires antérieures, et oubliées. Le mouvement va des textes vers la tradition non-écrite, jusqu'aux valeurs fondamentales des personnages : la reliance de l'elfe à la fertilité, et du nain à la mort. A moins qu'ait préexisté un seul être mythique, et ambivalent.

     Par étapes, ce livre procède donc à un véritable dévoilement des sens, pour finalement cerner un noeud conceptuel. On soulignera aussi l'intérêt d'un lexique, grâce auquel mettre de l'ordre et de la lumière dans la pagaille des appellations, un lexique qui par exemple distingue le duse du faune, le lutin du kobold, et cite le cas étonnant de ces Trolls, géants dont la race s'est faite naine... Un livre complet, plaisant, qui donne envie de revenir au catalogue d'Imago où, tiens, figure justement une autre étude de Claude Lecouteux : Fantômes et revenants au Moyen Age. De quoi permettre à l'amateur d'imaginaires d'enfin décortiquer le sens de ses frayeurs...