À Lisbonne au XVIIIe siècle, au cœur du quartier de l'Alfama, tacitement inaccessible aux forces de police et de l'inquisition, où se côtoient philosophes et alchimistes, astrologues et mathématiciens, arrive, un soir, un fugitif vieux comme le temps, le comte Kotor, le patriarche des vampires. Avec lui sa fille Barbara, son fils Laurent.
Loin d'inspirer la terreur, les vampires de l'Alfama se révèlent les prophètes et les précurseurs d'un autre monde. À l'égal de Prométhée ou des Titans sacrilèges qui voulaient ravir aux Immortels leur privilège, les vampires arrachent les hommes-proies à la mort en leur donnant l'assurance d'une survie, première étape vers un nouvel homme, « l'homo immortalis », qui succédera peut-être à « l'homo sapiens ».
Pierre Kast, par un regard inversé de miroir, retourne comme un gant le mythe de terreur et d'horreur, pour atteindre au plus vieux rêve de l'espèce humaine.
Violence des incendies et des massacres, folies de l'érotisme, sombres arcanes de la magie et de l'alchimie, donnent à une histoire d'amour désépérée et romantique, à un pari jamais perdu sur l'amour et la vie, l'occasion de s'inscrire en contrepoint. Qu'est donc, que sera donc l'amour entre une créature de la nuit et une fille du soleil ?
En juillet 1964, Pierre Kast confiait à Claude Romer, dans Midi-Minuit Fantastique, son désir de faire un film de vampires original — en ce sens qu'il serait favorable aux vampires, considérés alors comme une sorte de mutants, dispensant à leurs disciples, d'un coup de dents, une seconde vie nocturne après la mort. « Ce sera un film très romantique, disait-il, très populaire, très facile, plein de chevauchées et de batailles. Un film d'action et d'aventures, avec une base poétique et lyrique. »
Ce film ne vit jamais le jour (à l'instar des vampires), mais Kast n'abandonna pas son idée pour autant : il en fit un roman dix ans plus tard. Seulement, la SF et le fantastique s'étant émancipés entre-temps, Kast en profite pour se mettre au goût du jour : sexe et sang. Avec ironie et truculence, il est vrai, et sans indulgence pour les complots, traîtrises, lâchetés, mesquineries, fausses bigoteries et vraies perversités des dirigeants portugais de l'époque (1750) à peine caricaturés. N'empêche que toutes ne pensent qu'à baiser et tous à vendre leurs amis — sauf les vampires et leurs disciples, îlot d'intégrité, d'amour et d'espoir dans cet océan glauque d'une société en décomposition. La recherche de l'immortalité libre et gratuite contre la recherche des plaisirs les plus frelatés. La « base poétique et lyrique » est devenue érotique et baroque. Pierre Kast ne se prend pas tellement au sérieux — tant mieux. Malgré tout, il parvient à son but : nous rendre les vampires sympas. C'est assez rare pour qu'on s'y arrête, si on aime l'amour à tout va, le sang par hectolitres, les complots fumeux et les tortures sans raffinement.