C'est un véritable défi qu'accepte de relever le peintre à succès, Piambo, à la fin du XIXe siècle : faire le portrait d'une femme qu'il ne verra jamais mais qui lui parlera d'elle, cachée derrière un paravent. Au fil des séances naît alors une atmosphère étrange. Par le récit de son enfance où elle découvre ses dons de voyante, par les épouvantables révélations qu'elle lâche par bribes, Mme Charbuque envoûte inexorablement l'artiste. Obsédé par ce modèle invisible qui détruit lentement sa vie, il perd peu à peu son talent, sous le regard angoissé de la femme qu'il aime.
Quel but poursuit donc cette créature malfaisante ? Le lecteur va finalement découvrir ce qu'elle dissimule. Un lourd secret, dont personne ne peut sortir indemne.
Jeffrey Ford atteint des sommets dans l'art d'écrire, d'intriguer, d'amuser, d'épouvanter, de passionner
Piambo est un peintre doué qui se prostitue en réalisant des portraits pour des commanditaires qui, au final, ne sont pas toujours satisfaits par son travail. Un jour, alors qu'il sort d'une réception où une de ses clientes, issue de la haute et bonne société new-yorkaise, lui a murmuré qu'elle aimerait « qu'il crève », Piambo est abordé par un aveugle — Watkin. Ce dernier lui propose un étrange travail : le jeune peintre devra faire un portrait de madame Charbuque, mais sans jamais voir celle-ci, qui restera cachée derrière un paravent. Alléché par le salaire colossal que ladite Charbuque lui promet, Piambo accepte le travail, malgré les réticences de sa compagne, Samantha. Commence alors un étrange jeu de séduction/répulsion : madame Charbuque raconte son extraordinaire et tragique enfance au peintre, pendant que ce dernier essaye d'imaginer l'apparence de l'étrange veuve à partir des rares informations qu'elle met à sa disposition. Au même moment, à New York, des jeunes femmes meurent dans d'étranges circonstances, en pleurant du sang. Accumulant les indices sans le vouloir vraiment, Piambo en vient à soupçonner monsieur Charbuque, un homme que l'on disait pourtant mort durant le naufrage d'un transatlantique.
Jeffrey Ford est l'auteur de cinq romans (Physiognomy, Memoranda, L'Au-delà, Girl in the glass — les trois premiers étant disponibles chez J'ai Lu) et de nombreuses nouvelles, pour certaines rassemblées dans le recueil The Fantasy writer's assistant and other stories. Des trois livres que j'ai lus de lui, Le Portrait de madame Charbuque est de loin le plus accessible et le plus jouissif. Il s'agit d'un hommage, particulièrement réussi, au Portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde et à L'Etrange cas du Dr Jekyll et M. Hyde de Robert Louis Stevenson. L'écriture est superbe, la traduction au niveau, et l'imaginaire de l'auteur, extrêmement intellectuel et charnel, se révèle des plus satisfaisants. En mélangeant l'art pictural, le sexe, la mort et le mythe de Cassandre, Jeffrey Ford ne nous propose pas le livre le plus original de l'année, du moins pour ce qui est du fond, mais en osant faire louvoyer son récit entre steampunk et littérature générale, non sans soigner la forme presque jusqu'à l'excès, il nous offre un roman, formidable de suspens, qui résonne longtemps. A lire, surtout si vous avez apprécié l'un des deux livres suivants : Les Voies d'Anubis de Tim Powers ou Le Prestige de Christopher Priest.