Primitivement paru en 1945, en Belgique, ce roman était resté peu connu en France, malgré le film qui en fut tiré. C'est une excellente idée qu'ont eue les éditions Denoël de le reprendre, car il s'agissait d'un des meilleurs de son auteur.
On sait que Pierre Véry écrivait des romans policiers où se conjuguaient la fantaisie et l'insolite. Les débuts de sa carrière furent en outre placés sous le signe du fantastique, avec des œuvres comme « Le meneur de jeu », « Pont-Égaré », « Danse à l'ombre ». Il était fatal qu'un jour il fût conduit à mêler les deux genres. « Le pays sans étoiles » représente une tentative de cet ordre, un effort pour appliquer la méthode du roman policier à un récit fantastique. Et cette tentative aboutit à l'une des rares réussites sans défaut que l'on puisse enregistrer dans ce domaine.
Dans le fantastique classique, les faits irrationnels sont fournis à l'état brut, ou dévoilés par un processus d'induction. Mais la base du récit reste le conflit qu'ils engendrent, leur action sur les héros Dans « Le pays sans étoiles », au contraire, les données fantastiques sont présentées comme un mystère à élucider, et c'est ce mystère même qui est le pivot de l'action. C'est à l'éclaircir que s'attache, par une suite d'introspections et de déductions, le héros Simon Le Gouge.
On reconnaît là la démarche exacte de l'enquête policière. Dans cette recherche d'une solution à laquelle se livre Simon Le Gouge, le point de départ est une série d'indices : en l'occurrence des phénomènes surnaturels qui sont autant d'énigmes troublantes. Derrière ces indices, se trouve peu à peu reconstituée, par recoupements successifs et lentes approches, une réalité fantastique. Mais cette réalité elle-même est de caractère criminel. C'est finalement le secret d'un meurtre qui se trouve à découvrir – un meurtre vieux de cent ans et que d'étranges liens rattachent, à travers le temps, à l'époque de l'action. Et, dans la meilleure tradition du roman à énigme, c'est par un coup de théâtre dû à l'identification de l'assassin que se clôt le récit.
Quant au thème fantastique proprement dit, il est de nature simple. Il repose tout entier sur la notion de réincarnation, sur l'étrange répétition à un siècle d'intervalle des mêmes événements, et sur la façon dont le héros « communique » avec le passé par des expériences d'ordre psychique. Le mérite de Pierre Véry est, à partir de ces procédés assez faciles, d'avoir su fabriquer une intrigue cohérente et complexe, et ordonner autour de celle-ci les éléments d'une vaste fantasmagorie poétique. Le roman acquiert de la sorte une densité et une résonance au charme dépaysant desquelles il est difficile de rester insensible.
Ce livre qui se déchiffre comme un roman policier, se dévore comme un roman d'aventures, et frappe l'imagination comme un roman fantastique, représente une curieuse expérience en marge et un cas assez unique dans son genre. Nul doute qu'il ne puisse séduire toute une nouvelle variété de lecteurs. Sa réédition sert en tout cas beaucoup mieux la mémoire de Pierre Véry que ne l'avait fait, il y a quelques mois, la publication posthume du recueil « Tout doit disparaître le 5 mai ».