Un astéroïde a dévasté une grande partie de l'Europe en rayant Londres de la carte. Isaac Newton, l'alchimiste génial — ou fou, pour certains — , s'est réfugié à Prague en compagnie de son apprenti Benjamin Franklin. Ils feront tout pour sauver la ville des « anges » de l'éther, responsables de cette catastrophe. Mais ils ne seront pas les seuls à lutter. Bientôt ils retrouveront à Venise Adrienne de Montchevreuil, ancienne favorite de Louis XIV, et une drôle de délégation de colons américains, alertés par le silence du Vieux Monde.
Tandis que Pierre le Grand marche sur l'Europe et qu'un conflit semble imminent, que vont faire ces étranges êtres libérés sur le monde ? Les complots politiques serviront-ils leurs mystérieux desseins ?
Après Les Démons du Roi-Soleil, voici le deuxième volet des aventures du génial Newton et de ses compagnons en lutte contre des créatures maléfiques. Un savant mélange d'Histoire, d'uchronie et de fantasy débridée.
Deuxième tome de la tétralogie de L'Age de Déraison de J. Gregory Keyes, L'algèbre des anges reprend le fil du récit deux ans après les événements narrés dans Les Démons du Roi-Soleil. Londres définitivement disparue de la carte, la donne géopolitique a changé : les Russes tentent de conquérir l'Europe occidentale, tout en se préservant des attaques des Suédois au nord, et des Turcs au sud.
Le jeune Benjamin Franklin a trouvé refuge avec Isaac Newton à la cour de Prague, que le vieux savant réussit à préserver de l'invasion russe grâce à ses inventions. Néanmoins, la situation se dégrade, et il leur faut se résoudre à quitter la ville. Ben découvre à cette occasion que l'un de ses amis et protecteurs n'est autre que le roi de Suède, Charles XII. Son royaume étant allié aux Turcs, il décide de se rendre dans l'un de leurs fiefs, à savoir Venise.
De son côté, Adrienne de Montchevreuil, qui veille sur son jeune fils Nicolas – prénom donné en mémoire de son amour défunt, d'Artagnan – rejoint les troupes du duc de Lorraine, avant d'être accueillie par le tsar Pierre. Chemin faisant, elle s'aperçoit qu'elle a la possibilité de faire appel aux anges du titre, ces créatures impalpables de l'éther qui tentent d'infléchir le cours de l'humanité. Aux côtés de Pierre, Adrienne se dirige vers l'ouest, afin de pourchasser l'ennemi scandinave, jusqu'à le cantonner dans son dernier bastion, partagé avec leurs alliés : Venise.
Adrienne et Benjamin vont donc se retrouver tous les deux dans la ville lagunaire. Mais le lecteur avide d'assister à la rencontre des deux héros en sera pour ses frais : en effet, même si leurs itinéraires se croisent, les deux jeunes gens s'ignorent encore. Il faudra se résoudre à attendre le tome suivant...
J. Gregory Keyes reprend ici la recette qui a fait le succès du premier tome : récit mené tambour battant, péripéties incessantes, humour distillé par le biais du personnage de Ben, figures héroïques finement ciselées (Crécy, Charles XII)... A l'intention de ceux qui pourraient lui reprocher de ne pas savoir se renouveler, il enrichit l'intrigue d'une troisième trame. Venus d'Amérique afin de connaître le destin du Vieux Monde dont ils n'ont plus de nouvelles, il y a là le pirate Barbe-Noire – qui a une dent contre Franklin –, le puritain Cotton Mather et surtout le jeune indien Red Shoes, un chaman choctaw qui peut commander à ses “ enfants de l'ombre ”, dont on imagine sans peine les affinités avec les anges invoqués par Adrienne. Néanmoins, les tenants et aboutissants de ce monde de l'éther, ainsi que les volontés des créatures qui le peuplent, nous échappent encore, ce qui permet à l'auteur de nous tenir en haleine en attendant le troisième tome. Avec un art consommé du rebondissement, un appétit évident pour les scènes grandioses (l'attaque de Prague, ou celle de Venise...), Keyes pose ici une nouvelle pierre d'un cycle appelé à devenir l'une des grandes réussites de ces dernières années – et peut-être même un futur classique ?
Le premier volume de ce qui s'annonce désormais comme une tétralogie, Les Démons du Roi-Soleil (voir critique dans Galaxies n°21), nous plongeait dans un univers extravagant et trépidant : les savants de la fin du XVIIe siècle ont orienté leurs recherches vers l'alchimie (l'éther sous toutes ses formes) sous l'impulsion du grand Isaac Newton, découvreur du mercure philosophal. L'Histoire s'en est trouvée radicalement changée.
J. Gregory Keyes poursuit dans ce deuxième tome les aventures uchroniques croisées de Benjamin Franklin (jeune et fougueux assistant de Newton), d'Adrienne de Montchevreuil (rescapée de la cour décimée de Louis XIV) et de Red Shoes, nouveau venu dans la saga, Indien d'Amérique mandé par les siens pour représenter son peuple. Car depuis deux ans en effet (nous sommes en 1722), les Amériques restent sans nouvelles du vieux continent. Que s'est-il passé ? Pourquoi les éthérographes (sortes de télégraphes alchimiques) restent-ils muets ? Red Shoes et une troupe de personnages hauts en couleur — dont le terrible pirate Barbe-Noire — vont explorer l'Europe, qu'ils trouveront dévastée. Le cataclysme à l'origine de cette tragédie (dont le récit est narré dans Les Démons du Roi-Soleil) a chamboulé le climat mondial et plongé nos contrées dans un chaos indescriptible. Tandis que Franklin, aidé par un ami mystérieux, fuit Prague pour gagner Venise, Adrienne suit le jeune duc de Lorraine avant d'être appelée aux côtés du Tsar de Moscovie, qui domine l'Europe et veut conquérir Venise avec son armada de navires volants et ses puissants alliés éthériques... Newton, Franklin, Adrienne, Red Shoes et tous les autres se retrouvent alors au cœur d'une bataille mémorable, au cours de laquelle leur courage et leurs talents sont mis à rude épreuve...
Ce deuxième volet confirme la réussite du premier. Keyes ne s'encombre pas de psychologie : de l'aventure, de l'aventure, encore de l'aventure ! Ici, l'uchronie lorgne vers la fantasy, tant son inventivité dépasse le cadre historique initial, et tant le sense of wonder l'emporte sur la parabole. Des images resteront dans nos mémoires : une flotte de navires de guerre en plein ciel, le bébé d'Adrienne emporté par les anges, les Anglais, fous sauvages et meurtriers, ou le Conseil hilarant à Venise, où l'on peut rouer de coups de pied son contradicteur !
On peut seulement regretter que l'auteur n'ait pas insufflé plus de profondeur à son récit. On ne s'ennuie pas un instant, mais on aurait souhaité un peu de gravité. Les plus beaux passages du livre sont d'ailleurs peut-être ceux où Isaac Newton sort de sa tour d'ivoire et laisse transparaître enfin son humanité, son émotion, son désarroi. Au-delà d'une simple condamnation de la science aveugle, le roman nous montre alors, par ces larmes d'autant plus poignantes qu'elles sont inattendues, la lutte déchirante qui torture les hommes de science, à la fois sauveurs et bourreaux. Mais répétons-le, pour qui a besoin d'évasion, pour qui désire passer un bon moment, ce livre est très, très fortement conseillé ! Le troisième tome aura-t-il autant de panache ? On l'attend en tout cas avec impatience.
Cité dans les Conseils de lecture / Bibliothèque idéale des oeuvres suivantesAndré-François Ruaud : Cartographie du merveilleux (liste parue en 2001) pour la série : L'Age de la déraison