Ambrose BIERCE Titre original : The Devil's Dictionary, 1911 Première parution : New York, USA : The Neale Publishing Company, 1911ISFDB Traduction de Pascale HAAS
Raseur, n. : personne qui parle quand vous souhaitez qu'elle écoute. Vieillesse, n. : période de la vie pendant laquelle nous composons avec les vices que nous continuons à chérir en vilipendant ceux auxquels nous n'avons plus l'audace de nous adonner. Politique, moralité, religion ou administration : en sept cents définitions, Ambrose Bierce revisite les lieux communs de l'Amérique du XIXe siècle. La férocité de sa plume est à la hauteur de son combat contre toutes les formes de l'hypocrisie de ses contemporains. Pascale Haas nous offre une traduction inédite d'un antidote aux idées reçues.
Ambrose Bierce (1842 — 1913), nouvelliste et journaliste américain, contemporain de Mark Twain. Ses éditoriaux sont un réquisitoire contre le puritanisme de l'Amérique du XIXe siècle. Ce maître de l'humour noir est également connu pour ses récits fantastiques.
Deux livres qui, à la suite de La fille du bourreau, précédemment publié par NéO, et les deux recueils ressortis chez Grasset, Morts violentes et Histoires impossibles, totalisent tout ce que Bierce a écrit en fait de fiction Une somme sans doute peu importante quantitativement, mais qui suffit à placer son auteur au sommet de la littérature moderne, quelque part entre Poe et Buzzati (ou entre Kafka et Kipling, pourquoi pas ?) Par son destin (Bierce a vécu la guerre de Sécession sous I'uniforme nordiste, et à plus de 70 ans, en 1913, il a disparu mystérieusement au Mexique dans le sillage de Pancho Villa : une histoire récemment romancée par Carlos Fuentes dans Le Gringo), l'auteur tient déjà une vie de récit fantastique, et de guerre, et d'horreur, ceci se nourrissant de cela : il n'est qu'à lire Morts violentes, récits de la guerre civile américaine, que le fantastique (les disparitions) touche toujours à l'ombre de la mort, pour s'en rendre compte. Et la propre disparition de Bierce semblerait issu d'un de ses contes, comme on en trouve à foisons dans Le mort et son veilleur, où les « mystères de l'Ouest » sont racontés par plusieurs témoins (hommes de loi, médecins, shérifs), de façon contradictoire, pirandellienne, ce qui en fait tout le sel, mais en même temps illustre bien la fragilité d'une nature humaine que Bitter Bierce (Bierce l'Amer, comme on le surnommait) ne portait pas en haute estime
Le dictionnaire du diable (reprit par NéO en fac-similé de la traduction faite chez Belfond en 1964, avec la longue et passionnante préface de Jacques Sternberg, qui est en quelque sorte un des petits enfants de Bierce) rend bien compte de cette amertume, de sa misanthropie. Certes ce genre d'exercice est commun à la plupart des littérateurs noirs (de Flaubert à Cavanna en passant précisément par Sternberg), mais il est difficile de rester insensible à l'humour froid de Bierce, dont le dictionnaire a le mérite d'être à la fois universel et d'être très précisément daté (historiquement et géographiquement, ce qui nous vaut un tableau pointilliste de la société américaine du début du XXe siècle pas piqué des vers). Un florilège ? Il serait tentant d'en remplir des pages, mais j'aime particulièrement CADAVRE : produit fini dont nous sommes la matière brute, ou ce très cavannien CERVEAU : Appareil grâce auquel nous pensons que nous pensons. Quant à l'absurde lewis carrollien, Bierce n'en est pas avare non plus : AUTRUCHE (...( : L'absence d'une bonne paire d'ailes capables de fonctionner ne constitue pas un défaut, car, comme on l'a fait ingénieusement remarquer, l'autruche ne vole pas.
Il est possible de compléter ce survol total de Bierce par le numéro d'Europe (Mars 88) consacré au « Fantastique américain », qui comporte une bonne introduction à l'auteur due à notre collaborateur Roger Bozzetto, qui note justement que les personnages de Bierce sont prisonniers d'une Histoire « pleine de bruit et de fureur », mais que « la voix du narrateur (sarcasme froid) intervient pour justifier cette apparente absurdité au nom de l'impitoyable perfection du plan éternel de la divinité ». Une définition lapidaire de la noirceur de diamant (on sait que ça vient du charbon) du personnage.