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La Rédemption du Marchand de sable

Tom PICCIRILLI

Titre original : The Dead Letters, 2006   ISFDB
Traduction de Michelle CHARRIER
Illustration de LASTH

DENOËL (Paris, France), coll. Lunes d'Encre précédent dans la collection suivant dans la collection
Dépôt légal : avril 2009, Achevé d'imprimer : 2 avril 2009
Première édition
Roman, 352 pages, catégorie / prix : 22 €
ISBN : 978-2-207-26026-5
Format : 14,0 x 20,5 cm
Genre : Hors Genre


Quatrième de couverture
On l'a surnommé Killjoy, le marchand de sable, le tueur à l'oreiller. Longtemps, il a assassiné des petits garçons et des petites filles. Vingt et une victimes. Maintenant, il kidnappe des enfants maltraités et les place dans les familles que sa folie meurtrière a frappées. Il s'explique dans d'étranges lettres peuplées de personnages imaginaires, une correspondance à sens unique que personne ne semble comprendre, à part Eddie Whitt — un père inconsolable qui s'est juré de démasquer Killjoy et de le tuer.
 
Avec un sens aigu du rythme et du suspense, Tom Piccirilli lance un homme qui a tout perdu à la poursuite du plus fascinant des tueurs en série depuis Hannibal Lecter. Un choc. Un thriller inoubliable.
 
Né à New York en 1965, Tom Piccirilli est l'auteur de plus de vingt romans. Il a reçu le prix Bram Stoker pour son roman The Night Class. Son premier roman traduit en français, Un chœur d'enfants maudits, a été finaliste au Grand Prix de l'Imaginaire.
Critiques
     Killjoy est un tueur en série. Pendant des années, il a tué des enfants, les étouffant dans leur sommeil avec un oreiller. Il semble chercher maintenant la rédemption, kidnappant des enfants maltraités pour les « offrir » aux familles de ses victimes. Il est fou, indubitablement. Il suffit pour s'en convaincre de lire les lettres, petits joyaux déviants d'humour (très) noir, qu'il écrit à Eddie Whitt, le père de sa première victime. Eddie, que la police soupçonne encore parfois d'être le tueur, et dont la femme est devenue folle ; Eddie, qui n'accepte pas le début de retour en grâce de l'ancien tueur en série, désormais présenté par les médias comme un sauveur d'enfants tentant d'expier ses fautes passées ; Eddie, qui plus que jamais reste déterminé à débusquer l'assassin de sa fille...

     Car plutôt que de se conformer à ce que tous attendent de lui, plutôt que d'endosser le rôle d'une victime qui n'aurait d'autre choix que de subir ou surmonter ses épreuves, Eddie s'est mis en chasse. Cinq ans durant, avec le soutien paternaliste et condescendant de son ancien marine de beau-père, il a traqué Killjoy. Cinq ans durant, espérant comprendre ses agissements et ses motivations, il a peu à peu lâché prise pour mieux se livrer au tueur qui joue avec lui et le pousse lentement mais sûrement vers la folie. C'est que Killjoy ne semble pouvoir trouver sa rédemption que dans la damnation d'Eddie. Et celui-ci en vient à ne plus percevoir le monde qu'à travers la relation de plus en plus trouble qui le lie à Killjoy, à ne plus voir des gens qui l'entourent que la faille, le déséquilibre au cœur de leur personnalité.

     Et c'est devant un parterre de « fous ordinaires », au rythme des lettres que Killjoy écrit à Whitt, que Tom Piccirilli orchestre ces deux folies, chorégraphie leur valse lente autour de l'axe faussé de la paternité. Paternité d'Eddie, qui a perdu un enfant, en a refusé un autre, et — déclarant à la presse à propos du tueur : « Il a tué mon bonheur » — a baptisé Killjoy ; paternité de Killjoy, qui en lui enlevant son enfant a donné naissance au nouvel Eddie Whitt, et en se rapprochant de lui, en lui écrivant, en lui imposant sa présence invisible mais écrasante, l'éduque, le guide, le façonne. Et Eddie se prête au jeu, espionne les familles des autres victimes, cherche à comprendre les motivations de Killjoy, mets ses pas dans les pas du tueur... Son dernier ancrage reste Freddy : seul personnage du roman à se trouver dégagé des enjeux de la paternité, roc inébranlable, ami compréhensif, jamais à court de ressources, d'amour, d'aide et de pardon, il est la figure du père idéal ; réalisateur génial et excentrique, il stigmatise d'autre part, avec ses spots de pub surréalistes et ses démêlés judiciaires hilarants, l'absurdité des normes établies.

     Avec La Rédemption du marchand de sable, Tom Piccirilli étudie la notion fondatrice de paternité, la dissèque, l'étire, la rompt, la corrompt et la met en bocaux. Il est équipé des meilleurs outils : une plume vive et incisive, un sens du dialogue qui force le respect, des personnages tous particulièrement travaillés, et surtout la capacité de détourner les codes et les clichés du thriller, juste assez pour ne pas perdre son lecteur, suffisamment pour le déranger profondément. Car loin de se contenter d'imaginer puis d'exhiber un énième « monstre social », un repoussoir sans doute fascinant mais usé jusqu'à la corde que l'on puisse contempler depuis l'abri d'une confortable et consensuelle horreur, Piccirilli évoque, au gré des introspections d'Eddie, les monstres qui pourraient grandir en chacun de nous pour peu qu'on les y pousse.

     Faux thriller mais vrai page-turner, bref et saisissant, plus violent dans la représentation de notre quotidien que dans les rares atrocités qu'il donne à voir, La Rédemption du marchand de sable s'avère aussi marquant qu'Un Chœur d'enfants maudits (cf. critique in Bifrost n°45, roman disponible chez Folio « SF »). Tom Piccirilli y montre une fascination certaine pour la folie et les ambiances glauques, semble prendre un malin plaisir à souligner la fragilité et l'hypocrisie des conventions qui maintiennent à flot nos sociétés. Et les images qui subsistent longtemps après cette lecture sont moins celles de la violence ou de la perversion du tueur que le portrait d'un monde étrange et malsain, suintant la folie et le mal-être, un monde peuplé de freaks, personnages fous, camés, idiots, malades, dangereusement normaux. Le nôtre, assurément.

Olivier LEGENDRE
Première parution : 1/7/2009 dans Bifrost 55
Mise en ligne le : 2/11/2010


     On avait découvert Tom Piccirilli en France avec la publication de Un chœur d’enfants maudits, en Folio SF, un roman poisseux et complètement barjo peuplé de personnages invraisemblables sur fond de vaudou. Il nous revient ici avec La rédemption du marchand de sable – titre un peu hasardeux à comparer au Dead Letters original – qui n’est pas moins surprenant, et fait regretter que seuls deux livres de l’auteur aient été traduits jusqu’à présent, sur la vingtaine qu’il a publiés.
     Eddie Whitt a perdu sa fille quelques années auparavant. Celle-ci fut la première cible d’un tueur en série, qui tua une quinzaine d’enfants avant d’arrêter. Et d’opérer un changement radical : désormais, il kidnappe des enfants victimes de maltraitance, et les replace dans les familles qu’il a lui-même endeuillées. Et, souvent, il laisse une lettre à la seule destination d’Eddie. Ce dernier, des années après le drame, poursuit toujours son enquête, essayant de comprendre les agissements de Killjoy – comme il a lui-même baptisé le meurtrier – plus que de l’arrêter.
     On a ainsi affaire à un tueur en série particulièrement original : inqualifiable et impardonnable, certes, mais aussi fascinant par sa volonté de se racheter. C’est du reste par cette volonté de rédemption qu’il attire Eddie Whitt. Ce dernier, s’il ne pardonnera jamais à Killjoy, entretient des rapports très ambigus avec lui : sa première victime fut la fille d’Eddie, et c’est à Eddie que le tueur donna le premier enfant qu’il kidnappa dans sa phase de rédemption. Et, par le biais des lettres, qu’il rechigne bien souvent à donner à la police qu’il estime incompétente, Eddie devient le complice de Killjoy, et de ses délires métaphysiques. Eddie emprunte alors les pas de Killjoy, en rencontrant les familles qu’il a meurtries ou aidées. La nature de la relation entre les deux hommes devient de plus en plus intense, transgressive, et mouvante au fil des pages : Eddie est parfois le père de Killjoy – c’est lui qui l’a baptisé –, parfois son fils quand le tueur lui dicte ses actes, parfois un frère... Piccirilli excelle à dépeindre les mécanismes d’attraction-répulsion qui se succèdent chez Eddie, et la noirceur de son âme. Car Eddie est fou, c’est sûr : à la mort de sa fille, il n’avait que deux alternatives possibles : soit sombrer dans la folie « ordinaire » et se laisser mourir à petit feu, comme sa femme ; soit devenir fou et se servir de cette folie pour comprendre puis débusquer Killjoy. Et tant pis si, en choisissant cette deuxième voie, il sombre par instants dans la démence, jusqu’à en faire une fixation sur les dents, et à se faire saigner les gencives en mordant furieusement le volant ou le coffre de sa voiture...
     Eddie a beau être fêlé, il n'en a pas moins parfaitement conscience, et se permet de parler avec détachement et sarcasme de ses errances, ce qui fait de lui peut-être le plus sain d’esprit des personnages rencontrés au gré de ces pages. On aura notamment droit à une famille sectaire gratinée, avec une mère de famille qui recrée sa secte en prison, un fils aveugle qui réussit à s’échapper du commissariat de police, et un autre rejeton qui se frappe la tête dès qu’il entend le mot « gouvernement ». On n’oubliera pas non plus le principal ami d’Eddie, Freddy, un pubard gros et gras toujours à la recherche d’idées de spots plus barrées les unes que les autres, ou l’aide-soignant efféminé de la femme d’Eddie. La galerie de personnages est ainsi époustouflante, et même si certains sont des ordures finies, on admirera le talent qu’a Piccirilli pour en brosser un portrait plus subtil et nuancé que prévu.
     Signalons pour finir que, bien que publié dans une collection dédiée à l’imaginaire, La rédemption du marchand de sable ne contient aucun élément spéculatif ou fantastique ; tout au plus peut-on signaler le contenu très ésotérique de certaines lettres laissées par Killjoy, qui décrivent un monde autre, mais qui sont plus de l’ordre de la divagation exaltée
     Le mélange de noirceur extrême du propos et d’humour désespéré – bien rendus par la traductrice, Michelle Charrier – confère donc toute sa personnalité à ce roman hors normes, comme l’était avant lui Un chœur d’enfants maudits. Qu’attendent donc les éditeurs pour s’arracher Tom Piccirilli, un auteur si original et intéressant ?

Bruno PARA (lui écrire)
Première parution : 10/5/2009 nooSFere

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