James Graham BALLARD Titre original : The Four-Dimensional Nightmare / The Voices of Time, 1963 Première parution : Gollancz, 1963 (divers recueils aux titres identiques et au contenu différent existent)ISFDB Traduction de Gisèle GARSON & Pierre VERSINS Illustration de Stéphane DUMONT
DENOËL
(Paris, France), coll. Présence du futur n° 82 Dépôt légal : 3ème trimestre 1978, Achevé d'imprimer : 12 septembre 1978 Recueil de nouvelles, 288 pages, catégorie / prix : 1 ISBN : néant Format : 11,0 x 18,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
Suite à la réédition du recueil en langue anglaise chez Gollancz en 1974, quatre textes ont été insérés et sont donc disponibles dans cette édition (alors qu'ils étaient absents dans celle de 1965) et deux (ceux de la série "Vermillion Sands") ont été supprimés.
Quand viendra le temps
de l'homme terminal,
ce sera la fin du monde,
mais sans cataclysme,
comme un engourdissement propice
à l'ultime revanche des monstres.
Du reste,
les flottantes tours de guet
au-dessus des villes ne sont-elles pas
des signes de ces derniers moments ?
Et il ne servira à rien alors
d'apprendre le temps par cœur.
Huit nouvelles
où la logique est le moteur de l'effroi.
L'auteur :
Ecrivain anglais,
né en Asie en 1930,
J. G. Ballard a fait ses débuts
dans la science-fiction en 1957.
Il a été,
avec l'équipe du magazine New Worlds
dont il faisait partie,
l'un des artisans du renouveau de la S.F. anglaise.
Ses derniers romans
ont achevé de consacrer un talent
qui se manifestait déjà
avec éclat dans La Forêt de cristal
et Le Monde englouti
(Présence du Futur).
1 - Les Voix du temps (The Voices of Time, 1960), pages 11 à 57, nouvelle, trad. Gisèle GARSON & Pierre VERSINS 2 - Le Vide-sons (The Sound-Sweep, 1960), pages 58 à 111, nouvelle, trad. Gisèle GARSON & Pierre VERSINS 3 - L'Homme saturé (The Overloaded Man, 1961), pages 112 à 129, nouvelle, trad. Gisèle GARSON & Pierre VERSINS 4 - Treize pour le Centaure (Thirteen to Centaurus, 1962), pages 130 à 163, nouvelle, trad. Gisèle GARSON & Pierre VERSINS 5 - Le Jardin du temps (The Garden of Time, 1962), pages 164 à 174, nouvelle, trad. Gisèle GARSON & Pierre VERSINS 6 - La Cage de sable (The Cage of Sand, 1962), pages 175 à 206, nouvelle, trad. Gisèle GARSON & Pierre VERSINS 7 - Les Tours de guet (The Watch-Towers / The Watchtowers, 1962), pages 207 à 246, nouvelle, trad. Gisèle GARSON & Pierre VERSINS 8 - Chronopolis (Chronopolis, 1960), pages 247 à 280, nouvelle, trad. Gisèle GARSON & Pierre VERSINS
Critiques
BIENVENUE AU CAUCHEMAR BALLARDIEN
Que ce numéro 82 de la collection ne vous induise pas en erreur, il s'agit là bien plus d'une simple réimpression. Tout d'abord parce que la traduction a été entièrement remaniée. Ensuite, parce que l'édition française, datant de 1965, était incomplète et que les deux textes manquants ont été réintroduits 1. Enfin parce que, fidèle à la nouvelle édition anglaise de 1974 chez Gollancz, deux textes de l'ancien sommaire ont cédé la place à deux autres titres 2.
Faisons donc nos comptes, et nous trouvons seulement 4 textes communs aux deux sommaires français (Les voix du temps, Le vide-sons. Le Jardin du temps et Les tours de guet). Quant aux quatre autres nouvelles, deux sont totalement inédites dans notre langue. Il s'agit de La cage de sable et de Treize pour le Centaure 3. Cette dernière ravira d'ailleurs Rémi-Maure, puisqu'elle met en scène une arche stellaire se dirigeant vers Alpha du Centaure (... du moins en apparence !)
C'est toujours avec une rare et amère jouissance que je me dissous dans l'univers ballardien, m'engloutis dans les sables vermillons de ces paysages intérieurs à la surréaliste lumière, m'immerge dans ces personnages à l'incessante recherche de l'évanescente définition d'eux-mêmes dans un monde décadent et léthargique, bourré jusqu'à la gueule d'idéogrammes, de symboles, d'hiéroglyphes qu'il faut décrypter. Leur quête/régression dans cet univers surcodé, je la fais mienne. Je suis L'homme saturé acharné à dissoudre tout ce qui l'entoure, je suis cet homme terminal agonisant dans le monde engourdi des Voix du temps, je suis Bridgman à la recherche de son passé dans les reflets vermillons de La cage de sable, je suis Axel repoussant la horde des barbares grâce aux fleurs de cristal du Jardin du temps... ... Je suis Ballard, l'espace d'un livre...
Notes :
1. Il s'agit de Chronopolis et La cage de sable. (Pour la critique de Cauchemar version 1965. voir Fiction 141). 2. Prima Belladonna et Studio 5 les étoiles (appartenant au cycle de Vermillon Sands) ont été remplacées par L'homme saturé et Treize pour le Centaure. 3. En ce qui concerne les deux autres, Chronopolis a déjà été publiée dans le recueil Billenium (Marabout) et L'homme saturé dans, l'anthologie d'Alain Doremieux Après demain, la Terre (Casterman).
Maintenant que Ray Bradbury se contente d'être un Écrivain Réputé et qu'il lui suffit de caricaturer sa première manière pour recueillir les acclamations et les chèques, Jim Ballard est probablement le seul auteur de science-fiction chez lequel on retrouve quelque chose de la poésie qui distingua si admirablement les Chroniques martienneset L'homme illustré. Mais le rapprochement ne doit pas être exagéré : il se justifie essentiellement par la qualité du style, son originalité, sa richesse en images et son pouvoir d'évocation. La nature même des styles est différente. Ballard n'a rien de la simplicité colorée de Bradbury ; il procède au contraire par traits sinueux, par phrases chargées de comparaisons dont les aspérités reflètent souvent la complexité gothique des images. Et ; surtout, l'inspiration poétique est différente. Chez Bradbury, elle était puisée dans un pessimisme profond et une méfiance instinctive à l'égard de la science. Chez Ballard, elle traduit une inquiétude, mêlée de nostalgie parfois, à l'égard des images et des aspirations de l'inconscient.
De ce fait, la science que l'on trouvera dans ces nouvelles est généralement assez invraisemblable, sinon franchement absurde. Les plantes musicales de Prima Belladonna (cet excellent titre est celui de l'original anglais, heureusement respecté dans la version française), les dépôts sonores du Ramone-son, le transcripteur de poèmes de Studio 5, les étoiles, tout cela appartient, à des degrés divers, au fantastique pur beaucoup plus qu'à la science-fiction. Fantastiques également, ces Tours de guet desquelles d'invisibles observateurs paraissent contrôler la vie d'une petite ville. Mais existent-elles seulement, ces redoutables tours ? Ne s'agirait-il pas plutôt d'objets de l'imagination, de barrières que l'inconscient dresse devant la volonté d'action ? L'auteur laisse la porte ouverte à plusieurs conclusions possibles, après avoir évoqué de manière assez hallucinante l'obsession provoquée par ces énigmatiques sentinelles.
N'est-elle pas aussi la personnification d'une image de l'inconscient, l'étrange héroïne de Studio 5, les étoiles ? Cette déesse d'une imaginaire mythologie venant jeter le trouble dans un milieu de poètes symbolise assez bien les aspirations sur lesquelles Ballard développe plusieurs de ses narrations – cette nostalgie un peu craintive pour un monde Imaginaire, ce mélange d'impatience et d'inquiétude devant les interpénétrations de cet univers imaginaire avec le nôtre. Et ce lieu de séjour nommé Vermillon Sands, où se déroule l'action de Studio 5 et de Prima Belladonna – ainsi que celle d'autres récits du même auteur – concrétise, avec son atmosphère d'oisiveté contemplative, la disponibilité pour le merveilleux : les obligations quotidiennes paraissent abolies, le rythme de l'existence subit un ralentissement, et la porte est ouverte sur l'insolite.
Comparé au Monde englouti du même auteur, ce Cauchemar à quatre dimensions représente un net progrès. Sans doute les dimensions de la nouvelle conviennent-elles mieux à J.G. Ballard que celles du roman : dans ce dernier, son invention s'épuise relativement vite, et l'accumulation d'épisodes successifs affaiblit l'élément de fatalité dont Ballard imprègne ses mondes.
Le récit étonnamment poétique Intitulé Le jardin du tempsmontre que cette fatalité peut être retardée, mais non détournée. Ce message pessimiste est transmis à travers une image extrêmement originale : celle de fleurs temporelles qui préservent, tant qu'elles sont fraîches, le temps où vivent les propriétaires du jardin dans lequel elles poussent. Lorsque la dernière fleur sera fanée, les envahisseurs qui menaçaient, à l'horizon, atteindront le jardin, et ils n'y trouveront que deux statues… Rapprochée de Prima Belladonna, cette nouvelle montre une curieuse attirance envers le monde végétal : celle-ci n'était-elle pas perceptible aussi dans le Monde englouti ?
Dans Les voix du temps, l'inquiétude se fonde plus strictement sur la science, et le thème des mutations est traité d'une façon indubitablement originale. Cependant, la poésie du style ne peut manquer de frapper le lecteur, en particulier dans la phrase qui termine le récit. La traduction de Laure Casseau ne représente certes pas la perfection ; mais la tâche était malaisée, à cause de la syntaxe compliquée qu'affectionne l'auteur, et la version française a du moins le mérite de stimuler l'imagination, comme le faisait l'original anglais :
À demi endormi, il se redressait périodiquement pour régler le flot de la lumière à travers le store, pensant, comme il allait le faire pendant les mois à venir, à Powers et à son mandala, aux Sept et à leur voyage dans les jardins blancs de la Lune, aux gens bleus qui étaient venus d'Orion pour parler dans la langue de la poésie de la beauté des anciens mondes sous les soleils dorés des grandes galaxies, disparus pour toujours dans les myriades de morts du cosmos.
Ce que Bradbury paraît désormais bien incapable d'apporter, ses admirateurs pourront décidément le trouver chez Ballard, sous une forme légèrement différente mais également attachante.
Demètre IOAKIMIDIS Première parution : 1/8/1965 Fiction 141 Mise en ligne le : 2/7/2023