Pierre Versins a piqué une crise quand il a appris que les Nouvelles Editions Oswald rééditaient ce livre de John Buchan dans leur série policière, car il est persuadé que La Centrale d'Energie appartient à la science-fiction. Moi aussi, encore que je me moque bien de ce genre de classification.
Une Centrale d'Energie, c'est une société secrète dans le style Planète des bonnes années (savez-vous que je relis de temps en temps Le matin des magiciens, réédité en folio-Gallimard, et que je jette parfois un œil intéressé sur Question de, la revue éditée par Retz ? Ça vous étonne ?) qui part à la conquête du monde. Car la civilisation est chose fragile (des gens comme Lem ou Ballard le disent à longueur de livre), et il suffirait d'une intelligence diabolique « antisociale » pour la détruire... C'est Buchan qui le dit, pas moi. Nul doute que ces autres maîtres secrets, ceux des multinationales (et si c'était les mêmes ?), défendraient chèrement leur bout de gras...
Malheureusement le Maître Lumley (« une pure intelligence, un cerveau dénué de toute trace d'humanité »... c'est tout à fait mon genre, on en frissonne) trouve sur sa route un jeune avocat qui tient du Bob Morane et de Monsieur Tout-Le-Monde. Il enquête, il se débat, et il contre l'abominable Maître Secret... Ce qui prouve que celui-ci n'était pas si intelligent que ça... C'est la revanche de l'homme de la rue contre les fanas de pouvoir occulte ou, si l'on veut, de la démocratie sur l'élitisme ésotérique. Ce n'est pas pour nous déplaire...
L'éditeur parle « d'avatars dignes d'un film d'Hitchcock ». N'exagérons rien. Sous prétexte que le défunt a tourné l'un des romans de Buchan, Les 39 marches, on lui fait cautionner un peu facilement ce livre qui ne lui arrive quand même pas à la cheville. Assez de surenchère sur la 4 de couverture des livres !
La Centrale d'Energie est simplement un bon thriller, efficace, classique, et c'est déjà pas mal. Quant à l'idée de SF qui le soutient, ce complot à l'échelle mondiale, elle n'est pas si bien exploitée que ça, mais fera sûrement saliver les amateurs d'apocalypse.
L'intérêt de cette réédition, aussi, que l'on doit à François Rivière, est de remettre en lumière cet écrivain anglais qu'on ne lit pas assez, précurseur du roman d'espionnage contemporain, d'Eric Ambler (j'imagine que vous vous êtes précipités sur ses œuvres rééditées par les Humanoïdes Associés, et vous avez eu raison) à John Le Carré. On se replongera dans le célèbre Les 39 marches (Artaud) et dans Le camp du matin (Livre de Poche), et surtout on regrettera qu'une grande partie de l'œuvre de Buchan soit encore inédite en français, en particulier dans le domaine fantastique. Alors, les éditeurs ?