BÉLIAL'
(Saint-Mammès, France) Dépôt légal : septembre 2013, Achevé d'imprimer : août 2013 Première édition Recueil de nouvelles, 352 pages, catégorie / prix : 19 € ISBN : 978-2-84344-121-9 Format : 14,0 x 20,5 cm✅ Genre : Science-Fiction
La couverture donne comme titre "7 secondes pour devenir un aigle" mais partout ailleurs dans l'ouvrage, "7" apparaît en lettres. Dépôt légal : à parution
Une île du Pacifique à la fois tombeau de Magellan et unique territoire d'un arbre à papillons endémique...
Un homme au visage arraché par un tigre mais qui continue de protéger « la plus belle créature sur Terre », coûte que coûte...
Un Sioux oglala sur le chemin du terrorisme écologique...
Un trio de jeunes Japonais qui gagne sa vie en pillant la zone d'exclusion totale de Fukushima...
Des Aborigènes désœuvrés cherchant dans la réalité virtuelle un songe aussi puissant que le Temps du Rêve de leur mythologie...
Une Terre future, post-Singularité, inlassablement survolée par les drones de Dieu...
Après diverses hésitations, entre Laos, Thaïlande et Cambodge, Thomas Day a finalement posé son sac en banlieue parisienne, où il regarde pousser ses fils en menant de front sa carrière de romancier et ses activités d’éditeur. On lui doit quantité de nouvelles et une douzaine de romans, dont La Voie du sabre, L’Instinct de l'équarrisseur et Le Trône d’ébène. Le dernier d’entre eux, Du sel sous les paupières, est lauréat du Grand Prix de l’Imaginaire 2013.
Science-fiction, fantastique et uchronie... Thomas Day explore ici le rapport de l’homme à la nature à travers six plongées dans les marges du monde, de l’Asie à l’Amérique en passant par l’Australie. Sept secondes pour devenir un aigle est le troisième de ses recueils à paraître aux éditions du Bélial’.
1 - Olivier GIRARD, Avant-propos, pages 13 à 15, introduction 2 - Mariposa, pages 17 à 63, nouvelle 3 - Sept secondes pour devenir un aigle, pages 65 à 100, nouvelle 4 - Éthologie du tigre, pages 103 à 164, nouvelle 5 - Shikata ga nai, pages 167 à 179, nouvelle 6 - Tjukurpa, pages 181 à 212, nouvelle 7 - Lumière noire, pages 215 à 310, nouvelle 8 - Yannick RUMPALA, Et la science-fiction entra elle aussi dans l'anthropocène..., pages 313 à 328, postface 9 - Alain SPRAUEL, Bibliographie des œuvres de Thomas Day (1971), pages 331 à 345, bibliographie 10 - Remerciements, pages 347 à 347, notes
Critiques
Sept secondes pour devenir un aigle est le dernier recueil publié de Thomas Day. En six nouvelles et un peu plus de trois cent pages, il livre sa vision, justement pessimiste, de l’état du monde et de l’avenir de l’humanité. S’y ajoute, pour le lecteur, une postface documentée de Yannick Rumpala, spécialiste de la décroissance, proche donc du souci de Thomas Day ici.
Car ce dont nous parle l’auteur – convaincant car convaincu – dans un recueil très joliment illustré par Aurélien Police, c’est d’écologie, de deep ecology, même, idéologie radicale qui considère comme moralement condamnable de traiter le monde comme une ressource au service de l’homme, et l’enjoint à respecter la planète sur laquelle il vit ainsi que les êtres vivants avec lesquels il la partage.
Protéger la planète, les biotopes, la biodiversité, est nécessaire en soi car tout ce qui est a une valeur, indépendamment de son utilité pour l’Homme. Cela implique conscience, respect et maîtrise ; la deep ecology c’est à peu près l’opposé exact de l’Ancien Testament invitant les hommes à croitre et à se multiplier en soumettant la Terre et ses créatures.
Sauver la planète, la venger, la soigner, s’assurer au moins de ne pas la meurtrir plus, c’est à ces tâches que s’affairent les personnages de Thomas Day. Suivons-les.
Commençons par « Mariposa », très beau texte, délicat et empreint de nostalgie. On y voit un groupe de Japonais assistés d’un Américain – ennemis d’hier qui tentèrent mutuellement de s’éliminer et y réussirent en partie – faire cause commune pour protéger une espèce d’arbre à papillons endémique, rendant par là même à la terre une partie de ce qu’elle leur donna. Et pas seulement sur un plan symbolique…
Dans « Sept secondes pour devenir un aigle », un vieux rebelle indien transmet le flambeau de la révolte à un fils adolescent qu’il n’a pas élevé. Venger la Terre, blesser ceux qui la blessent, est la seule voie droite : c’est celle que Johnny la Vérole enseigne à Léo au cours de sa dernière chevauchée vers une revanche qui est celle de la Terre meurtrie. Léo y apprendra à vivre sans argent, hors du système, en se protégeant des objets de la modernité qui attachent au mode de production suicidaire que l’Occident impose au monde.
« Éthologie du tigre » est un beau texte dans lequel un homme qui a fait le choix, difficile mais raisonnable, de ne pas se reproduire, étudie les tigres et tente sans espoir de protéger cette espèce qu’il aime d’une extinction programmée par l’humanité.
« Shikata gan ai » fait du lecteur le spectateur d’un désastre écologique. Dans une ambiance à la Stalker, on suivra des récupérateurs pillant la zone interdite de Fukushima pour vivre de la revente d’objets abandonnés par les populations en fuite.
« Tjukurpa » est proche de « Sept secondes… ». Personnages issus de peuples premiers aux marges de la modernité ravageuse, retour aux pratiques et valeurs anciennes, recherche d’harmonie avec le monde, y compris en version virtuelle, rétribution violente et décroissance « forcée » dans une forme, ici subliminale, d’écoterrorisme doux.
Enfin, « Lumière Noire » nous montre une Terre nettoyée d’une bonne partie de l’Humanité par une IA rogue décidée à réaliser enfin le potentiel jamais exploité de l’Homme en se tournant vers les étoiles. Inquiétant et déjanté. Peut-être nécessaire.
Sur un thème capital, Sept secondes pour devenir un aigle combine l’urgence d’un cri primal à une vraie maîtrise narrative. C’est donc un recueil éminemment recommandable.
Sept secondes pour devenir un aigle interroge le rapport de l’homme à la nature et son impact sur elle, à la fois en tant qu’individu responsable et comme membre de l’espèce humaine. Pourtant, malgré un constat très noir, une pointe d’espoir subsiste souvent dans les nouvelles au sommaire.
Le recueil s’ouvre sur « Mariposa », un récit à plusieurs voix, et sur plusieurs époques, autour d’une île isolée du Pacifique. Elle pourrait accueillir la tombe de Magellan échoué en 1520. Elle a été le théâtre d’affrontement entre Japonais et Américains pendant la Seconde Guerre mondiale. De nos jours, ses secrets et la particularité de ses arbres à papillon attirent les convoitises. Trois narrations différentes permettent de lever peu à peu le mystère, non sans oublier qu’une dette contractée auprès de dame nature doit être remboursée. Dans « Sept secondes pour devenir un aigle », Leo fait la connaissance de son père, Johnny la Vérole, un Sioux radical et expéditif parti en guerre contre les compagnies qui exploitent les richesses du sol, défigurent la terre sans vergogne et tentent d’acculturer de force les peuples autochtones. Johnny, incarnation d’un monde moribond, est habité d’une rage intransigeante. Son engagement extrême teinté de mysticisme lui confère une force indomptable qu’il tente de transmettre, en partie, à son fils. « Éthologie du tigre » entremêle la légende d’une tigresse mangeuse d’hommes et l’enquête d’un homme défiguré par l’attaque d’un de ces félins en voie de disparition. Depuis cette rencontre avec le fauve, Shepard milite activement pour la préservation de ce dernier. Au Cambodge, sur le chantier de construction d’un nouveau complexe hôtelier situé dans un parc national protégé, trois têtes de bébés tigres sont retrouvées parfaitement alignées. Le surnaturel, les fantômes du passé, le tourisme de masse qui asphyxie un pays et un personnage à multiples facettes sont mis en scène avec subtilité et tendresse, même dans la douleur, le sang et la mort. Courte nouvelle, « Shikata ga nai » nous envoie piller la zone contaminée de la centrale nucléaire de Fukushima après le séisme de 2011, avec un trio poly-amoureux de stalkers. Pour l’instigateur de la démarche, il y a une opportunité et de l’argent à de faire. « Tjukurpa » se déroule en Australie et mêle réalité virtuelle, recréation des mythes anciens des Aborigènes et éco-terrorisme à petite mais mortifère échelle. Enfin, la novella « Lumière Noire » nous parle de Singularité avec la naissance d’une IA tyrannique bien décidée à sauver la planète et ses habitants, même si ces derniers, quelque peu décimés et bien contraints à changer de mode de vie, ont du mal à saisir sa logique salvatrice. Une utopie informatique et post-effondrement marquante.
Chaque texte est doté d’une superbe et pertinente illustration d’Aurélien Police, et le recueil est accompagné d’une postface éclairée de Yannick Rumpala. En six nouvelles – récompensées par le prix du Lundi 2013 et le Grand Prix de l’Imaginaire 2014 –, Thomas Day, aussi incisif que lucide, souligne l’urgence d’une remise en question pour penser l’après. Il serait temps de nous réveiller, le point de non-retour n’est plus très loin.
Karine GOBLED Première parution : 1/10/2020 Bifrost 100 Mise en ligne le : 21/5/2024