Un vieil homme parcourt à cheval la France, vidée de ses habitants comme la totalité de la planète, à la suite d'une pandémie foudroyante quarante-cinq ans plus tôt. Sur son chemin, il traverse des villes envahies par la végétation et peuplées par des animaux sauvages, ainsi que quelques communautés de survivants octogénaires. Au crépuscule de sa vie, égrenant ses souvenirs, il veut une dernière fois voir la mer.
Dans ce monde désert, quelques destins se croisent : une femme cherche désespérément à mettre un enfant au monde, l'équipage de la première expédition avortée vers une autre étoile atterrit en catastrophe. Mais l'existence de ces survivants n'est peut-être pas due au hasard : quel est ce météore bleu vif que les rescapés aperçoivent parfois dans le ciel ? Un espoir venu d'ailleurs ou le dernier signe de l'apocalypse ?
Jean-Pierre Andrevon, né et vivant toujours à Grenoble, a publié environ 130 ouvrages en 35 ans. Ecrivain engagé, journaliste et peintre, il livre ici son œuvre majeure, une fresque post-apocalyptique sombre et poignante. À travers les récits d'une poignée de survivants, il dessine la carte d'un nouveau monde, plausible et peut-être proche. Un voyage bouleversant.
En une semaine, l'humanité a été éradiquée de la surface de la planète grâce à un virus foudroyant, l'ESH (variante humaine de l'ESB). Seuls subsistent quelques survivants, qui de toute façon se savent condamnés : les rares femmes que le virus n'a pas tué sont devenues stériles... Au cours de grands chapitres bâtis un peu comme des nouvelles, nous suivons la destinée de certains d'entre eux, depuis le déclenchement de l'épidémie jusqu'à une cinquantaine d'années plus tard. Entre ces chapitres, intervient en leitmotiv le lent cheminement d'un vieux cavalier, l'un des derniers survivants, à travers une nature rendue (enfin) à la flore et aux animaux — un vieil homme qui voulait voir la mer...
À mon goût, c'est l'un des meilleurs bouquins d'Andrevon, sinon le meilleur (mais je ne les ai pas tous lus). Pour une fois, nous assistons à une fin du monde « douce » — ou plutôt une fin de l'humanité, car le monde, lui, continue ! La nature reprend ses droits avec exubérance, une flore et une faune exotiques et prolifiques s'épanouissent dans les ruines des anciennes capitales : des hippopotames s'ébattent dans la Seine, des lions chassent les gazelles dans le bois de Vincennes, les rats reignent en maîtres dans les sous-sols, des loups rôdent place de la Concorde... Tout au long de ces cinq cents pages, Andrevon nous clame dans un style aussi riche et foisonnant que la flore qu'il décrit, son amour de la nature et des animaux : la planète s'est enfin débarrassée de ses parasites humains, on respire, on revit ! Du coup, rien de noir ni de pessimiste dans ce roman post-civilisation : les quelques survivants poursuivent leur existence sans désespoir ni nostalgie excessifs, s'adaptant à la vie sauvage ou subsistant sur les vestiges du passé... et s'interrogeant, aussi, sur cette étrange lueur bleue qu'ils aperçoivent parfois la nuit dans le ciel : que signifie-t-elle ? menace ou promesse ?
Andrevon m'a avoué avoir mis trente ans à écrire ce bouquin, en pointillés bien sûr, la toute première histoire (le vieux qui voulait voir la mer) datant de... 1975. Longuement mûri donc, poussé au fil du temps, ce bouquin a la solidité, la sérénité et la pérennité d'un grand chêne. Ressourçant.
Fidèle à ses amours post-apocalyptiques, Jean-Pierre Andrevon revient en grande forme avec Le Monde enfin,écrit à l'origine dans le contexte de la vache folle, mais rattrapé depuis par le spectre de la grippe aviaire. L'opération promotionnelle est donc parfaite, ce dont personne ne se plaindra, tant ce nouveau roman (compilation d'anciennes nouvelles et de plus récentes, liées par un fil conducteur glissé entre les « chapitres ») se lit avec un plaisir bien réel. Le contexte narratif est assez simple (mais au premier abord seulement) : un virus meurtrier se répand comme une traînée de poudre sur notre planète bleue en bien mauvais état. Aussitôt, les morts s'entassent par milliers, puis par millions, et c'est bientôt la survie des hommes en tant qu'espèce qui est clairement menacée. A l'instar du triste sort des tigres de Sibérie, trop peu nombreux pour se rencontrer (et donc se reproduire) sur leur immense territoire, l'humanité risque fort de ne pas s'en remettre. La nature, elle, reprend vite ses droits (ce qui donne par ailleurs de belles pages descriptives d'un Paris envahi par les animaux échappés du zoo et rendus à la vie sauvage) et le (mauvais) souvenir de l'Histoire humaine ne perdure pas longtemps. A quelque chose, malheur est bon, la disparition de ces encombrants bipèdes étant le prélude à un nouvel ordre écologique enfin débarrassé de son principal persécuteur. Mais si Jean-Pierre Andrevon n'est pas particulièrement fan de l'espèce humaine, il s'y intéresse suffisamment pour croquer des personnages attachants, perdus sur une Terre qu'ils ne reconnaissent plus et à laquelle ils sont désormais étrangers. Les années passent et les rares survivants meurent peu à peu, seuls, vieux et finalement pathétiques. Auparavant, le lecteur suivra le parcours (et notamment la première nouvelle, véritablement formidable) de quelques « heureux élus » qui, du savant français au militaire tout juste sorti d'hibernation en passant par des cosmonautes débarqués de leur navette sans conscience réelle de l'état du monde, luttent contre un ennemi invisible et évidemment tout-puissant : leur propre inutilité.
Sombre, mais pas désespéré, Le Monde enfin ne donne pas dans la morale. Il l'évite même comme la peste et se contente d'observer la fin avec une saine et salutaire distance goguenarde. Un Andrevon grand cru, donc, qui se déguste tranquillement, les deux pieds bien enfoncés dans les scories d'un monde dévasté.
On a parfois reproché à Jean-Pierre Andrevon son engagement politique, dans la lignée de mai 68, et son goût pour les catastrophes, comme si un écrivain français ne pouvait s'inscrire dans les traces d'un J.G. Ballard ou d'un John Brunner. Avec Le Monde enfin, la cohérence de l'œuvre est maintenue, du message écologiste qui s'amorçait déjà, en 1969, dans Les Hommes-machines contre Gandahar, à la vision d'un monde agonisant qui rappelle le recueil de nouvelles Neutron (1981), consacré à la fin du monde par l'atome. L'apocalypse, cette fois, n'est pas nucléaire. Nous sommes dans un futur proche. L'homme a gaspillé les ressources de la planète, joué à l'apprenti sorcier, modifié le climat, laissé s'éteindre de nombreux animaux ; le roman débute d'ailleurs par la longue liste des espèces disparues, du bison européen à la pygargue à queue blanche. Revanche du destin ou de la Nature ? Châtiment divin ? Hasard ? Intervention d'une puissance extraterrestre, l'étrange météore apparu dans le ciel de la Terre pouvant être un vaisseau d'une conception inconnue ? La réponse reste ouverte. Une seule chose est certaine : le milieu du XXIe siècle est marqué par l'extinction d'une nouvelle espèce : l'Homme. Le vecteur du désastre est une maladie inconnue, le PISCRA, qui liquéfie les cellules, du cerveau en particulier. Aucune parade n'est possible. En quelques jours, la planète entière est frappée. Sur mille humains, un seul survit. Toutes les sociétés sont désorganisées et il s'avère bientôt que la catastrophe est plus dévastatrice encore qu'il n'y paraît : les femmes qui ont survécu sont stériles.
Cette extinction de l'humanité, Jean-Pierre Andrevon nous la fait vivre à travers le destin de quelques survivants. « Récits d'une fin du monde annoncée », tel est le sous-titre du roman. Il s'agit en effet d'une œuvre polyphonique, une suite de séquences à travers lesquelles on suit plusieurs personnages, en de multiples points de la planète et même dans l'espace puisque des astronautes assistent, impuissants, à l'événement. Chaque chapitre peut être lu comme une nouvelle mais le roman tire sa force de l'accumulation des points de vue et de l'écoulement du temps, chaque année qui passe condamnant davantage l'humanité, tandis que revit la Nature. Et c'est ici que Jean-Pierre Andrevon se distingue de la plupart des récits de survivants dont regorge la science-fiction. Cette apocalypse, tragique pour ceux qui la vivent, est présentée sous un jour presque heureux. Entre les pages qui décrivent la lutte pour la survie d'individus isolés et pathétiques que tout condamne, s'intercalent des pages qui décrivent avec lyrisme et sérénité la renaissance de la Nature, faune et flore épanouies par la disparition du grand prédateur.
Ceux qui, comme moi, persistent à croire que l'homme peut corriger ses erreurs, que la science l'y aidera et que le progrès n'est pas nécessairement synonyme de dégradation de la planète seront désorientés par Le Monde enfin. Mais ils aboutiront sans doute à cette conclusion : s'il communique son amour de la Nature à ceux qui la négligent, Jean-Pierre Andrevon ne souhaite pas seulement le bonheur des lions, des rats et des vautours. En forçant le trait, il met en garde l'humanité, pendant qu'il est encore temps. Son regard sur les travers de notre espèce, aussi fragile qu'orgueilleuse, est à la fois impitoyable et attendri. Pour toutes ces raisons, Le Monde enfin marquera la science-fiction française comme un roman en adéquation avec son temps et, surtout, comme une œuvre littéraire majeure, par son style, sa construction et par l'ampleur du sujet, entre politique et métaphysique. À lire d'urgence.