André-François Ruaud a le mérite d'avoir écrit le premier guide français sur la fantasy : l'indispensable Cartographie du merveilleux, parue chez Folio SF. Le voilà maintenant devenu éditeur indépendant, avec « Les Moutons électriques » dont le nom fait évidemment référence au titre original de l'œuvre de Philip K. Dick adaptée au cinéma sous le titre de Blade Runner. Naturellement, le premier ouvrage de Ruaud en tant que nouvel éditeur est à nouveau consacré à la fantasy, mais cette fois il a pu rêver d'un livre plus fourni et bien plus beau que le sobre et compact Folio.
Précisons d'ailleurs que ce Panorama ne fait pas double emploi avec la Cartographie. Par exemple, on n'y retrouve pas de survol historique, même si le classement chronologique des différents articles permet aussi d'avoir une idée de l'évolution du genre. En revanche, les notices consacrées aux auteurs se sont considérablement étoffées, enrichies, embellies. La Cartographie était un guide de lecture très pratique, ce Panorama est une véritable encyclopédie, vivante et passionnante, permettant d'approfondir sa connaissance d'un genre parfois mésestimé.
En introduction, Ruaud tente une nouvelle fois de circonscrire les contours du merveilleux. La tâche est si ardue que l'auteur n'essaye même plus de donner une définition : il se contente d'établir une liste de « canons » du merveilleux, pouvant s'associer on non. Malgré cette difficulté à établir un cadre précis et bien délimité, le questionnement sur la spécificité du merveilleux est passionnant lorsqu'il est aussi brillamment exposé.
La protohistoire de la fantasy débute en 1129, avec l'évidente « Matière de Bretagne », rapidement survolée.
Le premier auteur examiné n'est autre que William Shakespeare, et pour cause ! Il n'est pas difficile d'établir des comparaisons entre Caliban et Gollum, entre Prospero et Gandalf et d'offrir à Shakespeare la paternité du « stéréotype de l'auberge de fantasy », tandis que le fameux auteur est lui-même devenu un personnage de fantasy, sous les plumes de Poul Anderson, de Neil Gaiman ou de Fabrice Colin entre autres.
Pourtant, c'est au quasi inconnu Gambattista Basile qu'est décerné le titre de « tout premier auteur de la fantasy en tant que littérature », grâce au Conte des contes, recueil paru en 1634 mais qui n'a été publié en France qu'en novembre 1995 !
En mettant de côté Les Mille et une nuits, c'est finalement au XIXe siècle que la fantasy se développe vraiment comme un genre autonome, avec Hans Christian Andersen, Lewis Carroll et bien d'autres.
Eh oui, le merveilleux ne commence pas avec Harry Potter, pas plus qu'avec Tolkien ou Howard...
On ne détaillera pas davantage le contenu de ce magnifique ouvrage, dont le sommaire ci-dessus donne une bonne idée. Soulignons simplement que l'ouvrage est de lecture très agréable, immédiatement accessible au profane, mais suffisamment fouillé pour que même l'amateur éclairé y apprenne beaucoup. On y fera de nombreuses découvertes, au risque de voir s'accroître de manière impressionnante sa liste de « livres à se procurer de toute urgence ».
Notons également quelques incursions dans d'autres domaines que la littérature, comme le dessin animé (Walt Disney, Miyazaki...), l'illustration (Ernest H ; Shepard, Edmond Dulac, Kay Nielsen...), la bande dessinée (Ruppert the bear...), divers mouvements (les Préraphaélites, les Scribblies...) les genres (la fantasy animalière, le Réalisme magique, le Steampunk...), les territoires oubliés (avec le nigérian Amos Tutuola ou l'ivoirien Ahmadou Kourouma...).
Evidemment, ce Panorama n'est pas exhaustif. Et c'est tant mieux car ainsi chaque essai est approfondi, dépassant le cadre étriqué d'une simple notice. Les auteurs se sont surtout attachés aux précurseurs, privilégiant la redécouverte de noms parfois totalement oubliés. Ces choix sont ceux d'érudits, de partisans d'une fantasy exigeante, plutôt que guidés par le seul succès commercial — ce qui ne les empêche pas de donner à J.K. Rowling la place qu'elle mérite, car ce qui est devenu commercial peut aussi être de qualité.
Certains lecteurs demeureront sans doute frustrés du peu de place accordé au cinéma, à la BD, aux jeux de rôles ou aux jeux vidéo, autant de domaine où la fantasy s'exprime pourtant abondamment, mais — qui sait — Ruaud nous réserve peut-être d'autres ouvrages complémentaires. D'ailleurs, certains articles n'ayant pas pu être intégrés à ce Panorama faute de place sont disponibles sur le site de l'éditeur : www.moutons-electriques.com.
Avant de conclure, insistons encore sur la beauté de cet ouvrage. Avec sa riche iconographie, il fait partie de ces livres qu'on a du plaisir à feuilleter régulièrement, pour admirer quelques illustrations, parcourir un nouveau chapitre, s'attarder sur un sujet précédemment négligé ou au contraire particulièrement apprécié... Voilà un ouvrage de référence que l'on se délecte à lire et à regarder, le cadeau de Noël idéal pour tous les amateurs de fantasy qui veulent élargir leur horizon.