Robert LAFFONT
(Paris, France), coll. Pavillons Dépôt légal : août 2017 Première édition Roman, 450 pages, catégorie / prix : 22,00 € ISBN : 978-2-264-07095-1 Format : 13,0 x 21,0 cm❌ Genre : Imaginaire
Le nouveau chef-d'oeuvre de Margaret Atwood, l'auteure de La Servante écarlate.
Stan et Charmaine ont été touchés de plein fouet par la crise économique qui consume les États-Unis. Tous deux survivent grâce aux maigres pourboires que gagne Charmaine dans un bar sordide et se voient contraints de loger dans leur voiture... Aussi, lorsqu'ils découvrent à la télévision une publicité pour une ville qui leur promet un toit au-dessus de leurs têtes, ils signent sans réfléchir : ils n'ont plus rien à perdre.
À Consilience, chacun a un travail, avec la satisfaction d'oeuvrer pour la communauté, et une maison. Un mois sur deux. Le reste du temps, les habitants le passent en prison... où ils sont également logés et nourris ! Le bonheur. Mais le système veut que pendant leur absence, un autre couple s'installe chez eux avant d'être incarcéré à son tour. Et Stan tombe bientôt sur un mot qui va le rendre fou de désir pour celle qui se glisse entre ses draps quand lui n'y est pas : " Je suis affamée de toi. "
Avec C'est le coeur qui lâche en dernier, Margaret Atwood nous livre un roman aussi hilarant qu'inquiétant, une implacable satire de nos vices et travers qui nous enferment dans de viles obsessions quand le monde entier est en passe de disparaître.
Critiques
Quelque part aux États-Unis, en un futur proche, Charmaine et Stan tentent de survivre. L’Amérique de C’est le cœur qui lâche en dernier connaît une âpre période. Une violente crise financière a précipité de larges parties de la population dans une misère chaotique. Elle frappe notamment cette middle-class autrefois prospère, dont le couple formé par Charmaine et Stan constituait une incarnation exemplaire. Forts des revenus procurés par l’emploi de l’une dans une maison de retraite huppée, et de l’autre au sein d’une start-up de robotique, les trentenaires profitaient de tous les avantages de l’american way of life en leur confortable demeure. Brutalement privés de travail comme de domicile par cette dépression XXL, Charmaine et Stan vivent désormais dans leur voiture décatie, errant en quête d’expédients de plus en plus incertains. Autour des époux, la société se délite à toute allure, ne se maintenant plus qu’en quelques isolats strictement réservés aux plus riches. Non seulement menacés par l’effondrement dans la pauvreté la plus noire, Charmaine et Stan le sont encore par des hordes de pillards écumant des villes livrées à elles-mêmes. Mais le couple apprend un jour l’existence du projet Positron : rien moins que de la création d’un nouvel ordre social et économique, pensé par un groupe d’entrepreneurs visionnaires. Escomptant avoir trouvé là le remède à leur déchéance, Charmaine et Stan postulent à Positron avec enthousiasme. Ce dernier reste entier après que le couple a appris, une fois retenu, que le projet consiste en réalité à emprisonner ses participants ! Les concepteurs de Positron envisagent en effet l’institution pénitentiaire comme une source potentiellement inépuisable d’ « emplois dans la construction, dans la maintenance, dans le nettoyage, dans la sécurité. » À condition que la prison ne désemplisse cependant jamais. D’où l’obligation pour Charmaine et Stan, ainsi que l’ensemble des positroniens, de séjourner un mois derrière les barreaux. Puis, durant le suivant, d’aller gagner leur vie en assurant les besoins de celles et ceux qui ont pris leur place en prison. Mais après quelques mois d’aller-retour entre les cases « prison » et « maison » – aussi confortables l’une que l’autre –, l’étrange utopie semi-carcérale se mue en une dystopie encore plus singulière… On se gardera d’en dire plus pour conserver intact le plaisir des futurs lecteurs et lectrices de C’est le cœur qui lâche en dernier. Illustrant le talent de construction de l’auteure de La Servante écarlate et de la Trilogie MaddAddam, ce dernier roman s’articule en une habile structure gigogne. S’enchâssant les unes dans les autres, surprises et coups de théâtre forment ainsi le ressort narratif de cette matriochka romanesque. Narrée avec une verve satirique souvent hilarante, cette cascade de rebondissements permet en outre le déploiement d’une réflexion féministe sur la servitude volontaire. Bien évidemment illustrée par l’emprisonnement consenti des positroniens, l’auto-aliénation s’exprime encore dans les autres inventions science-fictionnelles du livre. Qu’il s’agisse des « prostibots » et autres androïdes sexuels, ou bien encore d’un traitement neurologique tout à fait révolutionnaire… Placé sous le patronage d’Angela Carter (2) – le roman lui est dédié –, C’est le cœur qui lâche en dernier démontre une nouvelle fois la capacité de Margaret Atwood à user au mieux des formes de l’Imaginaire pour plonger au plus trouble des psychés féminine et masculine.