Robert LAFFONT
(Paris, France), coll. Pavillons Dépôt légal : avril 2018 Première édition Recueil de nouvelles, 324 pages, catégorie / prix : 21 € ISBN : 978-2-221-19034-0 Format : 14,0 x 22,0 cm❌ Genre : Imaginaire
Une écrivaine de fantasy récemment veuve se laisse guider à travers un hiver glacial par la voix de feu son époux. Une dame âgée, victime d’hallucinations, apprend peu à peu à accepter la présence des petits hommes qui ne cessent de surgir à ses côtés, tandis que des militants populistes se rassemblent pour mettre le feu à sa maison de retraite. Une femme née avec une malformation génétique passe pour un vampire. Un crime commis il y a longtemps se voit vengé dans l’Arctique par un stromatolithe vieux de 1,9 milliard d’années…
Dans ce recueil composé de neuf contes poétiques et satiriques empreints d’une ambiance gothique, Margaret Atwood, la grande dame des lettres canadiennes, s’aventure dans des ténèbres explorées avant elle par des auteurs tels que Robert Louis Stevenson, Daphné Du Maurier ou Arthur Conan Doyle – ainsi que par elle-même, dans son roman adapté en une série TV unanimement saluée par la critique,Captive.
Traduite dans cinquante langues, récompensée du prix Franz-Kafka pour l’ensemble de son oeuvre, Margaret Atwood est l’une des plus grandes romancières de notre temps. Sont notamment parus chez Robert Laffont Le Tueur aveugle (Booker Prize 2010), C’est le coeur qui lâche en dernier et La Servante écarlate, son plus célèbre roman, un classique qui ne cesse d’être redécouvert et a inspiré une série TV primée aux Emmy Awards.
Dernière publication en date de l’auteure de La Servante écarlate (cf. Bifrost n°38), ces Neuf contes apparemment disparates dressent en réalité un passionnant panorama de son œuvre. Relevant des littératures de l’Imaginaire à une exception près — « Matelas de pierre » est une histoire criminelle —, ces nouvelles viennent notamment souligner la vision atwoodienne des genres chers à Bifrost.
Trois d’entre elles témoignent ainsi du goût de l’écrivaine pour un certain réalisme fantastique. « Lusus naturae » a pour narratrice une jeune femme frappée d’une maladie aux conséquences singulières. Non seulement affublée d’une paire d’yeux jaunes et d’une considérable pilosité, l’héroïne se nourrit avant tout de sang. Ce mal — la porphyrie, comme le suggère quelques indices — la condamne à une existence cloîtrée et finalement tragique, ramassée en une dizaine de pages d’un gothique évoquant celui de Shirley Jackson. Tel Nous avons toujours vécuauchâteau, « Lusus naturae » fait épouser le point de vue du « monstre », interrogeant ainsi de manière empathique la supposée normalité… D’une tonalité moins sombre mais pas moins inquiétante, « Le Marié lyophilisé » et « Je rêve de Zenia aux dents rouges et brillantes » participent encore de cet excitant métissage entre réalisme et étrange. Ces textes adoptent d’abord un regard documentaire et ironique. « Le Marié lyophilisé » s’ouvre sur les affres conjugales et profes-sionnelles d’un brocanteur de Toronto. « Je rêve de Zenia aux dents rouges et brillantes » décrit quant à lui le quotidien domestique et sentimental d’un trio de Canadiennes sexagénaires. Mais émaillée de notations bizarres, l’écriture sape peu à peu ces réels. Et ce jusqu’à ce qu’un événement insolite fasse basculer ces récits dans un fantastique composite. « Le Marié lyophilisé » réinterprète ainsi la figure de Barbe-Bleue en l’associant à celle du succube, en un geste évoquant Angela Carter. « Je rêve de Zenia aux dents rouges et brillantes » mêle pour sa part onirisme divinatoire et vengeance post-mortem… Se projetant dans un futur tout proche, « Les Vieux au feu » illustre la veine dystopique de Margaret Atwood. On y découvre Wilma, la pensionnaire d’une maison de retraite de luxe, un univers là encore précisément documenté. Mais outre les assauts du temps se traduisant par de surprenantes hallucinations, Wilma doit affronter ceux de « Notre Tour », un mouvement radicalement gérontophobe pratiquant l’extermination des personnes âgées au nom de la survie des plus jeunes. Marqué par un humour noir rappelant celui de C’est le cœur qui lâche en dernier (cf. Bifrost n°90), « Les Vieux au feu » dessine un futur aussi effrayant que la « Trilogie MaddAddam »(cf. Bifrost n°39, 67 et 77)… Enfin, un ensemble de contes réunissant « Alphinland », « Revenante », « La Dame en noir » et « La Main morte t’aime » explore la fabrique des littératures de l’Imaginaire. Les trois premiers ont pour héroïne Constance, créatrice de Alphinland, un cycle de fantasy à succès ayant fait d’elle une auteure culte. Un statut que partage Jack l’auteur de La Main morte t’aime, un classique du roman d’horreur adulé par des générations de fans. Les nouvelles dévolues à ces sortes d’alter-egos de Ursula K. Le Guin et de Stephen King brossent un tableau du métier d’écrivain. Parfois acides quant à ce dernier, ces nouvelles en affirment aussi le formidable pouvoir émancipateur. Car, comme l’ensemble des Neuf contes, elles illustrent la conviction de Margaret Atwood que les littératures de l’Imaginaire peuvent rendre meilleures aussi bien celles et ceux qui les écrivent que leurs lecteurs et lectrices.