La VOLTE
(Clamart, France) Date de parution : 28 mai 2020 Dépôt légal : mai 2020 Première édition Roman, 368 pages, catégorie / prix : 20 € ISBN : 978-2-37049-090-2 Format : 16,0 x 21,0 cm❌ Genre : Fantastique
Un roman tendre et féroce où les galeux invoquent les mythes lupins pour survivre à une société qui les dépouille jusqu’à l’os.
Il ne s’appelle pas ; il est cet anonyme, cet étranger habitant à la marge des villes avec sa tante Libby et son oncle Darren : un garçon sur le point de devenir adulte et confronté à un choix qui décidera de son avenir. Doit-il croire au pied de la lettre les récits d’apparence fantasques de son grand-père, emplis de conseils absurdes relatifs au quotidien des loups-garous, ou bien grandir comme n’importe quel enfant et rejeter cette prétendue «anormalité» qui le condamnerait à vivre en rebut? Ce n’est pas comme s’il n’endurait pas déjà cette existence de marginal, de paria.
Car comment bien s’intégrer à la société lorsque l’on déménage tous les deux mois dans une nouvelle bourgade du sud des États-Unis, que l’on loge dans des voitures ou des roulottes insalubres, que l’on se nourrit au petit bonheur la chance? Être ou ne pas être loup-garou, quelle différence, après tout?
Avec drôlerie, avec une tendresse sauvage, Stephen Graham Jones nous invite à accompagner ce garçon sur la route de son identité. Une route cabossée, pleine de cahots et de méandres sinistres, mais ponctuée d’instants de félicité qui brillent dans la nuit environnante. On ressort de cette lecture tout ébouriffé, avec des envies de hurler à la lune et de courir dans les bois, une saveur à la fois douce et puissante sur la langue.
Critiques
Criminel, mécanicien, auto-stoppeur, villageois et bien d’autres choses. Dans sa tête de pré-adolescent, il incarne tous les rôles d’une histoire se réduisant à une succession de déménagements en catastrophe. Il n’a pas de nom, juste un oncle et une tante, et il relate dans un carnet le récit de son existence précaire, ballotté d’une caravane délabrée à une autre, de l’Arkansas à la Floride. Longtemps, il a vécu avec Grandpa, un vieillard fantasque persuadé d’être un loup-garou. Sa tante Libby et son oncle Darren n’ont jamais vraiment démenti les affabulations de l’ancêtre. Bien au contraire, à l’âge de raison, il s’est rendu compte assez vite qu’elles composaient l’ordinaire d’une famille dysfonctionnelle, sans cesse sur la route pour échapper aux conséquences de sa condition particulière. Pour lui, l’avenir reste incertain, même s’il ressent dans sa chair l’attraction de l’atavisme familial. Puisqu’il est difficile de renier son sang, autant s’en accommoder.
À l’instar de Toby Barlow, de Tristan Egolf ou de Glen Duncan, Stephen Graham Jones revisite le thème de la lycanthropie en l’implantant au cœur de l’Amérique profonde, celle des losers et des rednecks. Issu lui-même d’une culture en proie à la déshérence, l’auteur amérindien dépoussière le loup-garou de ses aspects les plus caricaturaux, voire démodés, impulsant au mythe un peu de modernité et de tendresse juvénile. Tel Candide, le narrateur de Galeux, nous parle ainsi de sa famille et de l’inhumanité d’un pays dans lequel il faut littéralement se battre pour survivre. Il nous raconte quelques-uns des épisodes qui ont contribué à forger sa personnalité, se faisant au passage le porte-parole de son oncle Darren, un doux dingue fonctionnant à l’instinct, de sa tante Libby, la figure forte et tutélaire du clan, et de son grand-père. Bref, de sa famille élargie au sens générique et génétique du terme. À ses côtés, on taille la route, d’un petit boulot à un autre, côtoyant la misère culturelle du milieu white trash, tout en s’amusant du récit des frasques de Darren, très inventif lorsqu’il s’agit de se retrouver dans la mouise. À la fois léger et grave, drolatique et triste, Galeux nous dépeint un lumpenprolétatriat attachant et féroce, un milieu où l’envie de vivre prime sur toute autre considération. Et si Stephen Graham Jones façonne en apparence un récit décousu, composé de tranches de vie aux jointures rugueuses, le déroulé haché du très jeune narrateur résonne comme un écho fidèle de son existence cabossée, sans cesse en proie au doute et à l’embarras. La violence horrifique de la transformation et la faim inextinguible de la bête restent en conséquence dans le hors-champ, l’auteur préférant porter son regard sur l’anecdote et sur la marginalité de cette famille, finalement pas si différente du commun des mortels. Jamais complaisant, il fait montre d’une tendresse et d’une sincérité qui tendent à gommer l’âpreté de leur condition défavorisée, sans pour autant en nier la réalité sinistre.
Galeux apparaît donc comme un formidable roman sur l’adolescence et sur la liberté dans un pays où les marges souffrent à l’ombre d’un American way of life illusoire. En dépoussiérant le mythe du loup-garou, Stephen Graham Jones fait aussi œuvre de critique social, révélant des trésors d’humanité, de solidarité et de drôlerie qui font du bien à lire.
Orphelin de père et de mère, le jeune narrateur de Galeux a une drôle de vie : élevé par sa tante et son oncle qui enchaînent les petits boulots et les déménagements, son grand-père lui raconte des histoires de loup-garou. A mesure qu’il grandit, il prend conscience que ces histoires ont un fond de vérité et que sa famille n’est pas comme les autres.
Stephen Graham Jones est l’auteur de plus d’une vingtaine de livres aux Etats-Unis, mais c’est seulement avec Galeux qu’il a été publié en français en 2020. Pour une histoire de loup-garou. Aux éditions la Volte. On peut donc être curieux et se dire que ce n’est pas une simple histoire à faire peur, où des jeunes gens vont fuir les morsures dans les bois au clair de lune.
Galeux est le récit du passage à l’âge adulte d’un jeune garçon découvrant qu’il vient d’un milieu particulier, qu’il n’est pas un américain comme un autre, que les caractéristiques de sa famille, si elles ont des cotés impressionnants, sont aussi un handicap social le privant d’une vie tranquille, le transformant même par moment en cible pour le reste de la société. L’auteur est un américain natif de la nation Pikuni (aussi appelée Blackfeet en anglais) et le parallèle entre le mode de vie de cette famille de lycanthropes et celui des amérindiens est évident. Si l’utilisation de loups-garous donne un ton fantastique plus léger au récit, c’est avant tout sa finesse et son authenticité qui marque la lecture : le questionnement du narrateur sur sa nature, ses doutes sur son futur, tout cela semble venir de la jeunesse de l’écrivain lui-même.
Maniant avec brio les outils du fantastique, multipliant les clins d’œil et les références aux mauvais genres (notamment dans les titres des chapitres), utilisant un narrateur enfant pour mieux questionner la réalité avec une fausse naïveté, Galeux est un roman social fort et sensible sur une famille marginale dans l’Amérique d’aujourd’hui. Nous n’avons pas fini de parler de Stephen Graham Jones puisque d’autres romans vont être bientôt publié aux éditions Rivages, mais n’hésitez pas à le découvrir avec Galeux.