La collection « Espace Nord », qui existe depuis bientôt quinze ans, assume le rôle d'un conservatoire du patrimoine littéraire belge. Elle est devenue l'un des piliers d'une supposée « spécificité » locale et, après avoir rempli sa tâche en offrant nombre de classiques méconnus ou introuvables, elle s'est ouverte aux auteurs contemporains. Son principe est simple : un texte, souvent une préface, toujours une « lecture » en forme d'analyse pour clôturer.
Depuis peu, la collection s'est adjointe une petite sœur dédiée aux jeunes, dont les premiers titres ont rassemblé ce que la Belgique a pu donner de meilleur aux littératures de genre : Henri Vernes, Jean-Baptiste Baronian, André Fernez, Jean Ray ou Thomas Owen. Ici aussi, les auteurs plus jeunes ont désormais droit de cité, et après sept livres Alain Dartevelle y a rejoint ses aînés.
Comme dans Script (Denoël), comme dans Imago (J'ai lu), Dartevelle joue des codes d'un genre et secoue les apparences. Dans la ville d'Osporel, qui ne sera située ni dans le temps ni dans l'espace, Marcus joue. Il vit la fin de l'enfance, encore subjugué par les feuilletons des multiples chaînes et leur héros, comme Captain Mark qu'il incarne lors de jeux de rôle. À Osporel, l'image est tout.
Océan noir va projeter le jeune Marcus loin de cette enfance protégée et irréelle : l'auteur fait jouer (classiquement) à la disparition du père le rôle de rite de passage. Néanmoins, si le récit initiatique orthodoxe vise à former le héros, Dartevelle dépouille peu à peu le sien de ses illusions pour l'abandonner à l'ultime page sans que le lecteur sache trop s'il va pouvoir se reconstruire, ni même s'il le désire. La perte des illusions enfantines n'implique pas l'acceptation d'un autre cocon, autrement coercitif, celui de la vie sociale, celui de l'univers des images.
Les territoires traversés par Marcus, le Domaine du Go, la Baie de Tongaï, le fleuve Simul, Bioscopolis et ses faux-semblants, sont autant de reflets des stéréotypes et des illusions du lecteur, de l'image que celui-ci se fait du récit qu'il traverse. Nous ne voyons jamais, nous dit Océan noir, exactement ce que nous pensons voir. Tout peut être fabriqué, comme dans les studios de Bioscopolis. Et la vanité d'un récit, c'est également la vanité de l'existence.
Océan noir est paru en 1990. Il semble que son thème soit plus que jamais d'actualité. Et un roman pour jeunes construit sur les règles du jeu de Go, c'est assez rare...