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Valcrétin

Régis MESSAC


Illustration de Alice MESSAC

La GRANGE BATELIÈRE (Montreuil, France), coll. Les Indiscrets précédent dans la collection
Date de parution : 15 septembre 2023

Réédition
Roman, 184 pages, catégorie / prix : 16 €
ISBN : 979-10-97127-39-8
Format : 12,9 x 18,4 cm
Genre : Science-Fiction


Quatrième de couverture

Quelque part, au large du Chili, vit une peuplade aux moeurs étranges. Des hommes oubliés ? Des mutants ? Des bêtes ? Des crétins ! Une expédition scientifique, dirigée par le Pr Baber, se donne pour mission de les étudier. Mais – est-ce le climat ou la contagion ? – les observateurs se crétinisent à leur tour…
Valcrétin est le dernier roman écrit par Régis Messac, terminé en mars 1943, peu avant sa déportation sans retour. C’est le roman messacquien par excellence : noir, acide et satirique. Après Quinzinzinzili, ce tant attendu Valcrétin donne la mesure d’un auteur en avance sur son temps, précurseur d’une dystopie à la française.

« Il y a là un mariage entre la raison et l'esthétisme, et cela confère à cette œuvre une qualité qui résiste à l'assaut du temps. […] Valcrétin ouvre les perspectives les plus élargies sur l'âme humaine et ses perversions. » Didier Reboussin

Régis Messac (1893-1945) est l’auteur du célèbre roman de science-fiction : Quinzinzinzili. Il fût un lecteur boulimique de toute littérature et de ses marges. Ses livres dépeignent sa vision du monde héritée de l’absurdité meurtrière de Première Guerre mondiale. Il est arrêté et déporté pour des faits de résistance en 1943.
Après la publication de ses quatre romans policiers, les éditions La Grange Batelière continuent d’explorer l’œuvre, injustement oubliée, de l’auteur.

Critiques des autres éditions ou de la série
Edition Jean-Claude LATTÈS, Science-fiction (1973)

     Valcrétin, écrit par le malicieux Régis Messac en 1943, alors que sa vie n'allait plus tarder à s'achever de façon tragique dans un camp nazi, était resté, jusqu'à aujourd'hui, inédit. C'est donc tout à l'honneur d'Edition Spéciale de nous avoir donné la possibilité d'en prendre connaissance après Quinzinzinzili et La cité des asphyxiés, encore que cette lecture risque fort de décevoir les amateurs des deux livres précédemment réédités. Commencé de manière fort vernienne dans un salon où quelques savants commentent la découverte, dans une petite île située au large du Chili, d'une peuplade de « Crétins », il se poursuit par une expédition très classique en ces lieux qui permettra au récitant, le docteur Le Bref, qui est accompagné par le professeur Baber, de rencontrer les fameux Crétins et de mener sur eux certaines expériences qui se termineront mal.
     On le voit à ce résumé, il n'y a pas ici, ou très peu, de science-fiction. Le récit de Messac a toutes les allures de l'aventure exotique issue de quelque Sciences et Voyages du début du siècle, encore que le projet de l'auteur ait été de tenter une satire de l'utopie — à moins qu'il ne faille entendre : une satire par le biais de l'anti-utopie, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Mais c'est bien là, justement, où le bât blesse : il est à peu près impossible de se rendre compte de ce que Messac a voulu précisément nous signifier, tant ses idées sont (volontairement ou non) peu claires, tant il offre des pistes divergentes à notre réflexion.
     Tout tourne naturellement autour du fait que les Crétins, originellement purs, sont pervertis par les civilisés qui tentent de leur insuffler des bribes de leur savoir et de réveiller leur intelligence : et si certains d'entre eux acquièrent le mécanisme du langage et des rudiments d'hygiène, la majorité d'entre eux apprend du même coup la violence et le meurtre, ce qui pèse lourd dans la balance. On trouve donc dans ce récit l'illusion romantique du « bon sauvage » de Rousseau et, pourquoi pas, un clin d'œil au Frankenstein de Mary Shelley, si on s'attache au fait que les civilisés sont punis par les créatures qu'ils ont voulu sauver de l'inexistence mais qu'ils ont pervertis par simple « imprégnation ». Et on débouche aussi sur L'île du docteur Moreau...
     D'une autre manière, les Crétins sont peut-être simplement les hommes, dont les défauts (paresse, lubricité, gourmandise) sont grossis de manière burlesque et quelque peu schématique. Certains indices pourraient le laisser croire :

     «  Ne tirez pas, c'est un homme !
      Un homme, ça ?
     Un Crétin, si vous voulez, c'est la même chose. « (p. 38)

     Enfin, et c'est l'explication qui nous paraîtrait a posteriori la plus satisfaisante (mais qui, empressons-nous de le dire, est sans doute fausse), il serait tentant de voir, dans l'envahissement de l'île des sauvages par des Blancs remplis de « bonnes intentions », une parabole du fait colonial, où ne manque même pas la trahison de certains indigènes tentés par les prestiges de la collaboration, et que leurs frères repoussent, voyant en eux de nouveaux « Oncles Tom ».
     Dans la prière d'insérer du livre, on nous trace des parallèles entre Valcrétin et Aristophane, Rabelais, Swift, Vercors (cf. Les animaux dénaturés). Nous pensons qu'il y a là léger abus de comparaison, chapeautage superfétatoire : il est plus probable, en fin de compte, que Messac a simplement voulu s'amuser, n'écrire qu'un ouvrage de distraction sarcastique ne s'appuyant sur aucun plan préétabli, aucune philosophie précise, aucun message brûlant à délivrer. Car enfin, reste le fait le plus frappant : la verdeur hargneuse avec laquelle l'auteur a décrit ses Crétins, et qui fait que son style d'ordinaire assez plat se colore en de nombreux endroits de fioritures réjouissantes empruntées la plupart du temps à la scatologie la plus fumante :
     « Bavant, morvant, hébétés, sécrétant mucus et excréments, avec des champignons de déjections qui leur poussaient soudainement entre les fesses, ils répondaient aux vents et au tonnerre par des vents foireux » (p. 115).
     Reconnaissons-le, ces « bons sauvages » ne sont pas à prendre avec des pincettes : faut-il alors voir là une finesse supplémentaire à cette élucidation coloniale qui nous tentait fort, et croire que l'auteur a voulu nous décrire le pervertissement du regard devant un être différent (donc abject et dangereux), ce qui est la source comme on sait de tous les racismes ? Je crains, hélas, que ce ne serait aller trop loin. Il y a là, sans doute, plutôt un dégoût général pour le genre humain dans son entier, l'expression d'un misanthrope qui ne voyait que trop bien, sous ses fenêtres de 1943, grouiller lâcheté et démission en face des silhouettes vert-de-gris du mal absolu. Cela expliquerait alors qu'il mesurât l'humanité à une aune célinienne où il reconnaît en nous « les pauvres baveux, les goitreux, les bossus, les noués, les noueux, les crasseux, chassieux, chiasseux, miteux et marmiteux » (p. 62). D'où ces pages hautes en couleurs fangeuses d'un Messac qui se dit « envahi par la nausée ».
     Valcrétin est suivi dans le même volume par une nouvelle d'une quarantaine de pages, Musique arachnéenne, originellement publiée dans La Revue des Primaires en 1932 et 33. Il s'agit simplement de la découverte par un contemporain d'un manuscrit du XVIIe siècle, rédigé par un prisonnier de l'Inquisition dont le compagnon de cellule a découvert que les toiles d'araignée sont de délicates structures à résonance pour la « musique des sphères ». Ce second récit n'a vraiment aucun intérêt et contamine peu ou prou Valcrétin : malgré la verve déployée par Messac dans ce récit, il faut bien avouer que nous ne nous sentons guère concernés et modérément amusés. On ne peut donc considérer ce volume qu'au titre de curiosité, celle qu'on éprouve d'ordinaire à lire les fonds de tiroir d'un auteur qu'on estime.

Jean-Patrick EBSTEIN
Première parution : 1/9/1973
dans Fiction 237
Mise en ligne le : 29/10/2002

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