Keith ROBERTS Titre original : Kiteworld, 1985 Première parution : Gollancz, juin 1985 Traduction de Guy ABADIA
Robert LAFFONT
(Paris, France), coll. Ailleurs et demain Dépôt légal : janvier 1987 Première édition Roman, 384 pages, catégorie / prix : 92 FF ISBN : 2-221-04974-8 Genre : Science-Fiction
Aux limites du territoire, frontières maritimes ou terrestres, les Servois montent la garde.
Ils surveillent les terres maudites, les mouvements des démons et les bouffées de leur haleine empoisonnée qui souffle la maladie et la mort.
Les Servois sont des cerfs-volants géants qui emmènent au bout de leur câble, jusqu'à mille mètres d'altitude et plus, des Guetteurs, gardiens farouches mais dérisoires du territoire. Ils sont servis par un ordre militaro-religieux, conscient de sa mission et dont les Guetteurs forment l'élite. Mais au fil des décennies, les démons, pauvres diables mutants, ont disparu, les nuages ont perdu leur radio-activité et l'herbe repousse sur les terres brûlées. Les Guetteurs continuent pourtant à monter une garde vigilante, périlleuse, muette et inutile.
Il y a du Désert des Tartares dans cette chronique minutieuse d'un monde d'après la bombe où cadets, servants des Servois, Guetteurs, courtisanes et enfants abandonnés dansent l'étrange ballet des convenances et des déviances d'une société figée.
Anthony Burgess avait salué un précédent roman de Keith Roberts, Pavane, comme l'un des meilleurs romans publiés depuis la guerre. Keith Roberts, dans la lignée de William Golding, de Ballard, de Brunner, d'Aldiss et de Burgess lui-même, pourrait être l'un des meilleurs romanciers britanniques contemporains.
Critiques
Si la collection Ailleurs & Demain avait pu inquiéter ses fans il y a quelque temps par une baisse de son niveau qualitatif (avec la publication répétée de romans d'une hard science toujours aussi dense en expositions technologies et pauvre en effets littéraires), elle les a rassurés récemment avec la parution coup sur coup de plusieurs œuvres majeures : Le don de Christopher Priest, Le chant de la Terre de Michael Coney, en trois volumes, et Survol de Keith Roberts.
Roberts est tout sauf un auteur prolifique. Et qu'il vienne de publier un autre roman outre-Manche (Grainne) ne signifie pas qu'il a accéléré sa production : Survol date de 1985, et constitue en fait une suite de nouvelles liées entre elles (ce que l'on nomme en anglais un fix-up), comme pouvaient l'être celles du splendide Pavane (qui vient d'ailleurs d'être réédité en Livre de Poche, avec une nouvelle supplémentaire qui manquait jusqu'à présent à toutes les éditions françaises).
Des personnages émergent dans une nouvelle, d'autres dans la suivante, ils se croisent, mais c'est bel et bien le monde dans lequel ils évoluent qui est le point central d'intérêt du livre. Et, par-dessus tout, le servol. Sans majuscule, c'est une sorte d'immense cerf-volant, qui sert à surveiller l'horizon, cet horizon sur lequel plane toujours la menace atomique, les reliquats d'une guerre nucléaire passée. Avec une majuscule, c'est un corps militaire spécialisé dans la surveillance des zones contaminées. Il y a sans doute quelque chose du Désert des Tartares dans cette peinture impressionniste d'un univers figé, en attente depuis trop longtemps... Mais ce n'est pas tout. Les choses commencent à bouger, le fanatisme repointe le bout de son long nez, bouleversant l'ordre établi et conduisant à une révolution... C'est le seul reproche que l'on puisse faire à Roberts : il n'a pas su maîtriser l'accélération de l'action, et la fin de Survol s'avère malheureusement trop précipitée, des éléments surgissent brutalement sans explication préalable ni postérieure. On ferme ce roman en se disant qu'il lui aurait bien fallu une vingtaine de pages de plus, au bas mot. Mais c'est néanmoins le souvenir d'un très grand moment de SF qui demeure. Malgré sa faiblesse finale Survol reste une des plus belles œuvres récentes de SF.
Comme dans de très nombreux livres de SF, la guerre nucléaire ne nous a pas épargnés. Aussi les dirigeants du territoire préservé ont-ils décidé de lancer dans les airs, le long de ses frontières, pour se protéger, une multitude de Servols, cerfs-volants géants entraînant à leur suite des nacelles desquelles des guetteurs veillent à ce que les mutants restent à distance et surveillent la progression des nuages radioactifs. Lesquels deviennent pour l'ordre religieux en place, au fil des années, les démons qu'il faut combattre et anéantir.
Le temps passant, la radioactivité, les mutants ont disparu, les Servols n'ont plus de raison d'être. Mais comme il se doit, les religieux se gardent bien de répandre ia bonne nouvelle car, s'ils disaient la vérité, il ne fait aucun doute qu'ils perdraient rapidement tout pouvoir. Heureusement, autour d'eux, les choses commencent à bouger, à évoluer lentement. Du même coup, leur influence finit quand même par se fissurer. La « Révolution » est proche...
Keith Roberts est un humaniste. C'est pourquoi, plutôt que de nous décrire un monde en long, en large et en travers, avec force détails superficiels, il s'attache à nous faire découvrir et aimer des personnages de chair et de sang aussi réels que vous et moi, à travers lesquels nous apprenons effectivement à connaître l'univers des Servols et des religieux qui les régissent. Notamment Raoul, Justin et Tan, sa protégée, Rand et Velvet, la petite sauvageonne (sans oublier la Maîtresse Kerosina), que nous suivrons tout au long de leurs pérégrinations. Mais il est inutile d'y chercher une histoire, seule et unique, suivant un héros, car Roberts consacre une ou deux parties de son livre à chacun (deux tout au plus) de ses personnages, qui disparaissent à chaque fin de chapitre pour ne ressusciter que beaucoup plus loin, certains dans les toutes dernières pages. Curieusement, l'ouvrage n'en paraît que plus structuré et, en le refermant, nous nous apercevons éberlués que grâce à son savoir-faire et son talent, en ayant l'air de ne pas y toucher, le père de Pavane, Les géants de craie et Les Furies, nous a embarqués à sa suite dans un livre-univers brillant, plein de vie, que nous abandonnons comme au sortir d'un rêve... Ce qui ne peut que nous faire regretter qu'il ne soit pas plus souvent traduit, en des temps où les bons auteurs et les livres dignes d'intérêt se font de p !us en plus rares.