Khanaor, île magique et disloquée, reflet d'une humanité dont elle subit les erreurs et les crimes. Après la rage d'eau, la guerre. Et pour y mettre un terme, les sortilèges chancelants des mages d'Ardamance, contrés par Rideh, le servant à la puissance vénale. Inéluctablement, la loi de la démence submerge hommes et éléments. A quelle unité accédera cette terre, quand le cycle des épreuves sera accompli ? Et quelle y sera la place des survivants, ceux qui l'ont secourue comme ceux qui l'ont trahie ?

     Suite et fin d'un splendide dyptique de fantasy par Francis Berthelot, qui était paru à l'origine dans la défunte collection « Heroic Fantasy » des Editions Temps-Futurs.

     Il s'agit là une œuvre extrêmement forte, mais demandant au lecteur un peu plus que les habituels romans d'aventure, et c'est pourquoi certains lecteurs n'ont pas su l'apprécier... En effet, il ne faut pas s'attendre à trouver là une fantasy de type « howardien », pas de gros barbares musculeux, pas de style ampoulé-archaïssant façon fin de siècle. Khanaor s'inscrit beaucoup plus dans la ligne de la fantasy « soft » contemporaine, telle que peuvent l'écrire outre-Atlantique des Elisabeth Lynn, R.A. McAvoy ou Barbara Hambly... Une littérature qui demande une certaine maîtrise de l'art de lire, une certaine intelligence de l'approche du texte. Oh, pas forcément une approche hyper-intellectualisée, pas de cérébralité pour la cérébralité comme la cultive actuellement une bonne part de la SF française, mais simplement un degré d'implication du lecteur plus important que dans un roman d'aventure ordinaire et « populaire ». Khanaor est le genre de roman qui transforme un peu son lecteur, oserons-nous dire. La fantasy et le fantastique, dans leur meilleure expression, ne révèlent-elles pas les « monstres » que chacun porte au fond de lui-même ?

     L'approche de Khanaor se fait sur deux thèmes primordiaux : le déséquilibre/retour à l'équilibre, et l'acceptation des pouvoirs fondamentaux (venus des quatre éléments). Mais les personnages ont aussi une très grande importance et, hors du commun, ils sont tous passionnants. Il n'est pas innocent d'ailleurs que les scènes les plus fortes sont celles alliant le mieux l'utilisation des symboles et celle des héros du livre : voir par exemple la préparation de la potion pour calmer la terre, à partir de lait humain, par Sigrid...

     Un livre vraiment beau et généreux, et certainement une réussite importante dans le domaine encore trop rare d'un merveilleux francophone.