James MORROW Titre original : Blameless in Abaddon, 1996 Première parution : San Diego, USA : Harcourt Brace, août 1996ISFDB Cycle : Jéhovah (La Trilogie de) vol. 2
Né en 1947 à Philadelphie, il publie son premier roman, Le vin de la violence, en 1981, obtient le World Fantasy Award pour Notre mère qui êtes aux cieux (J'ai lu, n° 3131). Après En remorquant Jéhovah (J'ai lu, n° 3910), voici le deuxième volet d'une trilogie iconoclaste, à l'humour décapant et à l'imagination débridée.
Martin Candie, juge de son état, coule des jours paisibles à Abaddon, une petite ville proche de Philadelphie. Marié sur le tard, il adore Corinne, son épouse. Au tribunal, il rend la justice avec équité — il faut dire qu'à Abaddon, la criminalité brille par son absence : un excès de vitesse par-ci, une querelle de voisinage par-là... Oui, Martin Candie est heureux.
Jusqu'au jour où son médecin détecte un cancer de la prostate, déjà très avancé. Désespérés, Corinne et lui se rendent en pèlerinage à la Cité Céleste, en Floride. Là repose le corps de Dieu, dans un immense caisson réfrigéré. On peut visiter la divine enveloppe, qui accomplit, dit-on, des guérisons miraculeuses.
Mais le Tout-Puissant n'entend pas la prière de Martin. Pire, quelque temps plus tard, Corinne se tue en voiture. Alors Martin se révolte et fonde la Société de Job. Son but ? Passer Jéhovah en jugement auprès de la Cour internationale de justice, à La Haye. Chef d'accusation : crimes contre l'humanité...
Avec En remorquant Jéhovah, James Morrow s'interrogeait sur les possibilités d'une morale dans un monde privé de Dieu. Dans Le jugement de Jéhovah, il pose cette fois l'éternelle question de la justification de la souffrance humaine, à travers les commentaires sarcastiques du Diable, narrateur du roman, qui s'avoue particulièrement fier d'avoir inventé le cancer...
Dans une petite ville américaine, Martin Candle, un obscur juge croyant et juste, se voit affligé d'un cancer de la prostate, avant de perdre sa femme dans un accident stupide... Troublé, il se demande alors où est la justice dans cet univers, et il décide d'intenter un procès à Dieu – dont le corps est désormais exploité comme parc d'attraction dans les environs de Disneyland – pour crimes contre l'humanité.
Martin est convaincu de son bon droit. Mais en se penchant sur la question, il va s'apercevoir que des précédents existent depuis Job, qui fut probablement le premier homme à sommer Dieu de s'expliquer. Il découvrira aussi les théories des nombreux théologiens qui ont essayé de justifier la souffrance humaine, à l'aide d'arguments disciplinaires, ontologiques, ou eschatologiques, ou encore en invoquant l'harmonie cachée et le libre arbitre.
Finalement, l'issue du procès demeure très incertaine. Dans l'espoir de trouver des témoins à charge, Martin va alors prendre part à une fabuleuse expédition à l'intérieur du crâne du Corpus Dei, à un spéléo-trekking parmi les idées de Dieu. Ce nouveau voyage fantastique sera particulièrement enrichissant puisqu'il y croisera des choses, des animaux, des monstres et de nombreux personnages marquants, parmi lesquels Noé, Jésus et Saint Augustin.
Enfin, viendra l'heure du procès...
Epoustouflant ! Ce roman est un bouillonnement incessant d'intelligence, d'émotion et de drôlerie. Car chez Morrow, plus le fond est sérieux, plus la forme est iconoclaste et satirique : il se permet d'aborder ainsi des questions difficiles, mêlant théologie, philosophie et psychologie sans jamais être didactique ni ennuyeux. Chaque page révèle au contraire une inventivité foisonnante, un goût certain pour l'aventure épique et pour la fantaisie débridée, Lorsqu'on croit avoir saisi l'endroit où veut nous conduire l'auteur, le voilà qui nous entraîne dans une toute autre direction.
La seule longueur du roman se situe dans la toute première partie du procès, où Candle énumère le plus grand nombre de douleurs et de catastrophes imaginables, jusqu'à l'indigestion. Morrow est conscient de cette longueur, qui frôle le voyeurisme malsain, car plusieurs des personnages supplient Martin d'abréger cette macabre exposition...
Si le corps du récit est impressionnant, le dénouement ne démérite pas. Comme dans le premier tome, Morrow se garde d'éluder la question qu'il a posée et il y apporte sa propre réponse, tout à fait pertinente.
Véritable fête pour l'esprit, ce roman à la fois grave et joyeux est une œuvre forte, essentielle, à découvrir au plus tôt, sans appréhender la sévérité apparente du thème.
Le cadavre de Dieu (Corpus Dei) — acheminé jusqu'au Pôle dans En remorquant Jéhovah, du même auteur — est mis au jour par un tremblement de terre et devient la principale attraction de la Cité Céleste, un parc à thème d'inspiration baptiste. C'est là que se rend le juge Martin Candle, dans l'espoir qu'un miracle aura raison de son cancer incurable. Non seulement le miracle attendu ne se produit pas, mais en outre son épouse Corinne, qui a voué son existence à la protection des animaux, meurt quelque temps après dans un accident de la route en voulant éviter un chien errant. La décision de Martin Candle est prise : il va poursuivre Dieu en justice pour crimes contre l'humanité...
James Morrow commence à être bien connu du public français. Plutôt qu'un écrivain de hard-science, c'est avant tout un fabuliste doublé d'un moraliste, et son inspiration le situe dans la lignée de Voltaire et de Swift plutôt que dans celle de Verne ou de Wells. Le deuxième volet de sa « Trilogie divine » est un roman picaresque qui passe du poignant à l'ironique — Candle est conduit à visiter le cerveau de Dieu, où défilent devant lui les idées platoniciennes issue de la Bible, dont le diable en personne — en même temps qu'une réflexion ontologique (et oncologique, préciserait son héros) dont la conclusion, si inévitable soit-elle, est néanmoins amenée avec brio. Est-ce encore de la sf ? demanderont certains. Nous leur répondrons qu'il y a plusieurs demeures dans la maison de notre mère. Gloria in excelcis Morrow !