Le Fleuve Noir est la collection de SF où l'aventure prend le pas sur tous les autres aspects, et qui ne cesse de nous réserver bien des surprises. Déjà, Richard-Bessières a opéré une étonnante mutation. Et Jimmy Guieu, dans Les destructeurs, nous surprend à son tour. Une guerre galactique de plus, mais qui va de rebondissements en rebondissements, qui multiplie les surprises et les étonnements. Du bon travail d'artisan qui a appris son métier.
Les Translucides de B. R. Bruss font une part plus grande à l'introspection et à la psychologie. Dans cette confrontation de races différentes, les péripéties importent moins que le comportement de ces Terriens captifs, grandis artificiellement, éléments d'une race éphémère qui servira de liens entre les groupes opposés.
Le Pierre Nord des Espionnes au coin du feu se délecterait, sans doute, de Round végétal. Sur cette planète, il n'existe que deux continents, l'un habité par les Xens, l'autre par les Rovas, races végétales intelligentes, et qui se combattent sans jamais arriver à une victoire décisive. Impossible à chacune de s'établir durablement sur le territoire de l'autre. C'est qu'en réalité, les deux cerveaux dirigeants sont si parfaitement imbriqués l'un dans l'autre que tout n'est que faux-semblant ; en réalité, les chefs se sont entendus pour se partager la planète en zones d'influences…
La loi de Mandralor de Peter Randa est moins ironique. Hilver et Regella poursuivent, au travers de l'espace et du temps, leur ami Halvar, possédé par une « Chose », entité qui absorbe la matière vivante et l'intègre à sa personnalité. La Chose s'est réfugiée sur la Terre qu'elle menace de dominer. Conformément à leurs instructions, les deux astronautes entreprennent de détruire cette menace. Il leur faudra lutter contre les Terriens, se méprenant sur leurs intentions, et livrer une partie d'échecs mentale à la Chose. Cette fois, Randa ne se contente pas de narrer ; par le truchement des étrangers, il juge la civilisation terrienne, et les propos de la page 123 peuvent être discutés, mais méritent d'être médités.
La rencontre de L'homme qui rétrécitde Matheson (mais André Klink subit une évolution inverse) et de La cage de l'écureuilde Disch (écrite en 1966, donc deux ans après la première publication de ce livre, n° 246 en FN « Anticipation »), cela donne une première partie remarquable. Ensuite, on retombe — pour expliquer l'enlèvement d'humains et d'humanoïdes par les Bomors et pour les en sauver — dans les poncifs de cette collection. L'explication reste d'ailleurs boiteuse : comment le passage de la planète dans un champ de radiations inconnues, qui y tuent les êtres vivants, peut-il « faire disparaître toute possibilité de navigation instantanée » (p. 171) ? Il est dommage d'y avoir sacrifié l'analyse des amours des captifs (résumés en banalités du genre de « je vis des heures enivrantes aux côtés de Mihiss, ma femme, qui est une créature absolument adorable », (p. 178). Tel quel, ce livre, sans être un sommet de la SF française, est cependant honorable, et reflète une vision du monde très lucide : « Pourquoi, dans cet univers, toute vie ne peut-elle subsister qu'aux dépens d'autres vies ? » (p. 176).