Un mystérieux visiteur vient frapper nuitamment à la porte de la résidence secondaire d'un riche industriel de Glasgow, lequel est en outre nanti d'une femme ravissante et de trois charmantes filles. Le visiteur propose à l'industriel une partie d'échecs qui doit se dérouler au rythme d'un coup par nuit. Fasciné, envoûté, James Groote se plie aux exigences du joueur ténébreux ; chaque fois qu'il perd une pièce, il vieillit de dix ans, en même temps que sa famille se délabre, sombre, se détruit en folies subites et vieillissements prématurés. Car naturellement le visiteur nocturne est le diable, ou tout au moins son envoyé, et le jeu est ensorcelé.
Pour s'en sortir, en un sursaut désespéré, l'industriel et sa femme tuent l'envoyé démoniaque. Mais cette mort était elle-même prévue sur les tables du destin : James Groote devient à son tour joueur itinérant ; il ne lui reste plus qu'à chercher de par le monde une autre victime à sa ressemblance, qu'il forcera à jouer jusqu'à ce que... et ainsi de suite à l'infini. Car la chaîne a commencé par la fabrication de l'échiquier par un paria hindou familier des sciences occultes, qui voulait ainsi se venger de sa pauvreté sur des générations de riches, jusqu'à l'extinction mondiale du système de classes... ce que l'auteur ne prévoit pas pour sitôt !
On voit donc curieusement dans ce roman le diable se mettre au service du socialisme, et l'épouvante servir la cause de la lutte des classes, d'une manière à vrai dire bien sibylline. Le thème de la possession, branché sur une structure cyclique des événements, ayant fait ses preuves, Dans les griffes du diable n'est à tout prendre pas désagréablement construit et se lit d'une traite malgré (ou à cause de) un léger agacement dû surtout à la linéarité excessive du récit. Mais on ne fera pas injure à l'auteur en lui rappelant qu'il écrit comme un cochon, et que les clichés (ah ! ces Highlands battus par la tempête...) disputent chez lui la place d'honneur aux impropriétés de langage et aux fautes de syntaxe. M. A. Rayjean, au cours de sa déjà longue carrière, n'a jamais marqué la série « Anticipation » d'une empreinte bien profonde. Passé aux « Angoisse » (et avec derrière lui une déjà honorable Bête du néant), peut-être trouvera-t-il un souffle qui lui a jusqu'à présent manqué. Mais il lui faudra d'abord trouver le temps d'écrire à tête reposée, afin de faire table rase de toutes ses coquilles.
Denis PHILIPPE
Première parution : 1/1/1972 dans Fiction 217
Mise en ligne le : 28/4/2002