Henry Rider HAGGARD Titre original : King Solomon's Mines, 1885 Première parution : Angleterre, Londres : Cassel and Company, 1885 Cycle : Allan Quatermain vol. 11
« S'attachant à montrer la noblesse des noirs, leurs sensibilité secrète plutôt que leur gloutonnerie anthropophagique ; confinant le réalisme au décor, sans toutefois le surcharger — Rider Haggard place délibérément l'intrigue sous le signe du surnaturel, de l'invraisemblable, du merveilleux. Lorsque la poésie l'exige, il s'abandonne volontiers à une folle démesure dans l'invention. Ainsi, le coureur de brousse Allan Quatermain découvre-t-il, au lieu de l'habituel coffre vermoulu et rempli d'or, un royaume fabuleux, Ophir, dont il partage le secret avec les scribes inconnus qui, deux mille ans plus tôt, composèrent la Bible. D'habile chasseur de fauves, Allan Quatermain s'élevait au rang d'Ulysse, conquérant de la toison d'or. L'intérêt des Mines du Roi Salomon réside moins dans les prouesses physiques du héros, que dans son aptitude à réaliser les prodiges de la fable, ou son habileté à se mesurer avec le mystère. Un mystère savamment rattaché à l'un de ces mythes flamboyants dont les civilisations modernes les plus incrédules aiment souvent à se parer pour réparer les outrages d'un rationalisme desséché et morose.
Si le génie de Jules Verne se définit par la logique, Rider Haggard trouve le sien dans le délire. Chérissant l'invraisemblable et cultivant la stupeur, il avait pressenti quelque quarante ans avant André Breton que le surréel est vérité et la réalité, imposture. »
Francis Lacassin (Préface à She).
Né en 1856 et mort en 1925, Henry Rider Haggard, ami intime de Kipling, fut l'un des principaux représentants de l'âge d'or du roman d'aventures en Angleterre. Economiste, il collabora au Colonial Office. Il était également technicien des questions agricoles et juriste.
Mais il est d'abord pour nous un très grand romancier qui sut mêler, dans tous ses romans, fantastique et aventure, ésotérisme et érotisme, pour constituer une œuvre impérissable dont une grande partie reste à traduire. De ses deux principaux cycles romanesques, le Cycle d'Allan Quatermain et le Cycle de She, le second a été intégralement publié dans cette même collection : She (2 volumes), Aycha, La fille de la Sagesse et Aycha et Allan (2 volumes). Quant à Allan Quatermain, on le voit apparaître dans le quatrième volume du Cycle de She et il est le héros de 16 volumes du Cycle d'Allan Quatermain dont 14 restent à traduire, les deux autres étant La fleur sacrée (paru en deux tomes dans cette collection) et Les mines du roi Salomon. Rappelons enfin que figure également dans cette collection Le peuple du brouillard qui, pour n'appartenir à aucun des deux cycles, n'en est pas moins un passionnant roman d'aventures fantastiques.
Henry Miller, Jacques Bergier, Francis Lacassin, entre autres, ont dit toute l'admiration qu'ils portaient à l'immortel créateur de She.
Critiques
Pour des raisons que le simple bon sens suffit à faire comprendre, la série SF/Fantastique/Aventure des Nouvelles Editions Oswald est ce qui se fait de plus construit dans l'édition de fantastique chez nous : les textes sont, à quelques exceptions près, soit de bon niveau soit — avouons-le carrément — des petits et des grands chefs-d'œuvre du genre. Quant aux couvertures de Nicollet, elles représentent, elles, et sans contestation possible, le dessus du panier en France ! La seule chose qu'on pourra reprocher à cette collection est de ne pas encore trop se préoccuper des auteurs modernes inédits. Mais patience, car comme le fonds Marabout va se raréfiant, on peut espérer un accroissement rapide des inédits... à condition d'éviter bien sûr toutes les nullités franco-belges que Jean-Baptiste Baronian avait cru bon de publier dans un bel élan de patriotisme francophone.
Comme démonstration de la qualité de base de la collection j'ai choisi trois bouquins parus juste avant les vacances. Deux sont excellents (Maison des sorcières d'Evangeline Walton et Le miroir de Merlin d'André Norton), et le troisième est un vieux classique tout auréolé d'une aura de célébrité : Les mines du roi Salomon de H. Rider Haggard.
A tout seigneur tout honneur, nous commencerons par ce chef-d'œuvre (le mot n'est pas trop fort) qu'est Les mines du roi Salomon. Après avoir épuisé le cycle de She, NéO s'est attaqué depuis peu à celui du Chasseur Allan Quatermain (voir les deux tomes de La fleur sacrée parus récemment) et nous propose donc ici le livre de Rider Haggard. Réédité un grand nombre de fois chez nous depuis l'édition Hetzel de 1888, ce roman montre que, dès le début de sa carrière, Haggard avait à sa disposition tous les éléments de sa grandeur littéraire. Bien plus qu'un extraordinaire roman d'aventures, Les mines du roi Salomon est aussi un ouvrage initiatique, un livre dont le héros, Allan Quatermain, va être confronté à une autre réalité, un réalité parsemée de mystères fantastiques touchant à la trame même de l'histoire du monde. Tout Rider Haggard se trouve résumé là : son génie, son imagination et sa démesure.
Le deuxième roman dont il va être question provient, lui, du Fleuve Noir « Angoisse » dont il fut le troisième numéro, via le fameux fonds Marabout, où il fut réédité une première fois en 1974. C'est, bien sûr, Maison des sorcières d'Evangeline Walton, un écrivain discret du fantastique américain passionné par les mythes gallois qui forment le fond des quatre romans de son cycle du Mobinogion, édité en totalité au début des années 70 par Lin Carter chez Ballantine. Pour rassurer le préfacier du volume, Jean-Pierre Deloux, je me permettrai de lui signaler que le premier tome de la trilogie d'Evangeline Walton consacrée à Thésée vient enfin de sortir en « hardcover » aux USA et s'intitule The sword is forged... Quand on aura ajouté un roman historique épique, The cross and the sword (1956), et deux nouvelles dans l'ancien et le nouveau Weird Tales, on aura fait le tour de la maigre production de notre auteur, dont la qualité compense largement la quantité.
Maison des sorcières, paru en 1945 chez Arkham House (une référence) fut le second roman publié par Evangeline Walton, neuf ans après The virgin and the swine, le premier titre du Mobinogion. C'est un livre étonnant, un des traitements les plus rigoureux du thème de la maison hantée et de la possession par magie noire. L'approche du calvaire enduré par une fillette possédée par des forces noires sous l'angle de la parapsychologie fait que ce livre possède un ton très moderne au niveau du thème. La forme, elle, reste celle du fantastique classique des années 30 tel qu'il était conçu en dehors des pages de Weird Tales, par les Anglais entre autres. Evangeline Walton refuse les débordements de la fameuse revue américaine pour construire un récit ramassé, intimiste par moments, qui capte l'attention du lecteur par une foule de détails angoissants (il y a une technique proche de celle du roman policier dans cette histoire) qui trouveront leur explication dans l'apocalyptique duel final entre les principaux protagonistes. Maison des sorcières n'a pas vieilli en presque quarante ans et devrait rester encore longtemps dans les mémoires des lecteurs.
Concluons ce long paragraphe consacré à NéO par le seul inédit du lot, Le miroir de Merlin d'André Norton, une autre grande figure du fantastique et de la SF américains. Tout sépare ces deux femmes presque du même âge (puisque Alice Mary Norton, née en 1912, n'a que cinq ans de moins qu'Evangeline Walton) : autant cette dernière a eu une carrière discrète, autant André Norton a su se tailler une place de choix dans le monde de l'édition spécialisée américaine avec ses space opéras énergiques et ses romans d'heroic fantasy bien enlevés. Le miroir de Merlin appartient à cette seconde catégorie, et ce bien que la SF y introduise son nez d'un bout à l'autre. En fait, et pour simplifier, ce roman présente une lecture SF de l'épopée du roi Arthur, pas celui de la légende du Moyen Age, mais le grand chef de guerre du Ve siècle. L'histoire est d'autant plus intéressante qu'elle présente des personnages doués de pouvoirs surhumains mais qui sont constamment manipulés par un programme et des machines installés par des extraterrestres humanoïdes repartis dans l'espace des millénaires auparavant pour s'affronter dans un conflit galactique sanglant. Les deux factions des extraterrestres sont d'ailleurs aussi face à face dans l'univers de la Grande-Bretagne du Ve siècle : à Myrddin-Merlin, homme engendré par les extraterrestres, va être opposée Nimue, celle que la légende retiendra sous le nom de la Dame du Lac. Et cette guerre des magiciens, des êtres de Pouvoir, va forger le cours de l'histoire dans une partie d'échecs où les pions s'appellent Arthur, Modred et bien d'autres moins connus. Curieusement, l'image du Grand Roi en ressort grandie, tant il a su dépasser avec panache son statut de marionnette d'un destin programmé à des années-lumière de là. Quant au personnage clé de ce roman, Merlin, André Norton a su en faire une figure très attachante, presque pathétique dans ses efforts pour que le Plan se déroule comme prévu. Voilà donc un roman qui devrait aider à imposer le nom d'André Norton chez tous les amateurs de ce genre hybride placé entre l'heroic fantasy et le space opera et que les Anglo-Saxons nomment science fantasy. Et, comme presque toujours, Nicollet a doté ce livre d'une couverture absolument superbe !