Vingt ans après leur tentative d'atteindre la lune — voir De la terre à la Lune, Trajet direct en 97 heures (1865) et sa suite Autour de la lune (1869) — les incorrigibles artilleurs du Gun-Club, toujours présidé par Barbicane, veulent, grâce à un énorme coup de canon, modifier l'axe de rotation du globe terrestre et supprimer les saisons pour pouvoir exploiter les mines de charbon du Pôle Nord. Mais une erreur de calcul de J. T. Maston remet le projet en cause.
Truffé de calembours à la Christophe et de jeux de mots pré-rousselliers, à la fois mystifiant et totalement mystifié, Sans dessus dessous, publié en 1889, est sans nul doute le plus fou et le plus cocasse des récits de Jules Verne : il y reprend tous les thèmes de ses « Voyages Extraordinaires » et joue avec sa propre image.
Publié en 1889, Sans dessus dessous,qui fait revivre 20 ans après les personnages du cycle de la Lune (Barbicane et autres membres du « Gun Club »), n'eut aucun succès du vivant de son auteur ; oublié, le livre n'est même pas recensé par le Livre de Poche... Cela s'explique : Jules Verne s'y auto parodie allègrement, détournant systématiquement les constantes de son œuvre. Loin des « Voyages Extraordinaires », l'aventure ici reste confinée à des bureaux et salles de conférences ; loin du succès, elle se termine par un échec risible ; loin d'être des héros, les personnages sont de dangereux irresponsables constamment tournés en dérision. Surtout, l'inventeur de la science-fiction capitaliste démythifie les motivations de ses créatures, qui achètent le pôle nord afin d'en exploiter d'hypothétiques gisements de houille, et veulent pour cela faire fondre les glaces en faisant basculer la Terre sur son axe (« Ah ! s'il n'y avait eu à disparaître sous les nouvelles mers que des Samoyèdes ou des Lapons de Sibérie, des Fuéggiens, des Patagons, des Tartares même, des Chinois, des Japonais ou quelques Argentins, peut-être les Etats civilisés auraient-ils accepté ce sacrifice ? »). Enfin, l'auteur se montre tout au long du récit d'une grande drôlerie, qui va du clin d'œil (CH. IV : « Dans lequel réapparaissent de vieilles connaissances de nos jeunes lecteurs ») à l'incongruité (« On aurait entendu marcher une fourmi, nager une ablette, voler un papillon, ramper un vermisseau, remuer un microbe ».) de la satire (« Mais il n'y a plus d'Ile déserte de nos jours ; les Anglais ont tout pris ») au surréalisme peut-être involontaire (« En réalité, la Terre doit être considérée comme une masse de fer plus ou moins carburé à l'état de fluidité ignée... »). Mais toutes ces tendances sont bien mieux analysées par François Raymond dans sa pertinente postface. Voilà en tout cas une exhumation qui réjouira non seulement les fanatiques de tonton Verne, mais aussi la plus grande masse des lecteurs...