Curieux métier que celui de Bonnie Winter : elle a créé son entreprise de nettoyage des scènes de crimes. Curieux, et morbide. Car, malheureusement, les lieux où elle doit se rendre sont toujours éclaboussés du sang répandu sur le sol ou les murs. Elle peut difficilement se plaindre, c'est bien elle qui a choisi ce métier d'appoint (à côté de son premier emploi de représentante en produits de beauté). Après tout, il faut bien que quelqu'un fasse le sale boulot. Alors, elle ou une autre... Ajoutez à cela un mariage en pleine déconfiture, du fait de la mise au chômage de son mari, remplacé par un Mexicain, et la lente déchéance de leur fils, pris dans une organisation fasciste, et vous comprendrez que sa vie n'est pas facile. Il y a bien son patron, qui l'apprécie et lui propose gentiment et régulièrement de partir avec lui, et cette vedette rencontrée sur un lieu de nettoyage, qui l'invite à sa soirée. Mais ce ne sont que lueurs vacillantes dans les ténèbres qui s'abattent peu à peu sur elle...
Où se trouve le fantastique, me direz-vous ? Eh bien, il s'insinue peu à peu dans l'intrigue, en filigrane, sans que l'on sache jamais vraiment s'il convient de prendre ce roman pour un texte fantastique, ou au contraire pour pure fantasmagorie née de l'imagination de Bonnie. Toujours est-il que celle-ci découvre, sur les lieux de meurtres impliquant des Mexicains, de très curieuses chenilles ou chrysalides de papillons. Au cours de son enquête, elle découvre qu'il s'agit – pour peu qu'on accorde foi aux légendes – d'un signe de la venue de la déesse Itzpapalotl. Et celle-ci envoûte progressivement l'esprit de Bonnie.
L'intérêt de ce roman est de ne prendre parti pour aucune des deux thèses. Le lecteur en est ainsi réduit à un questionnement permanent : doit-il croire ce qu'il voit, ou au contraire privilégier la piste du fantastique ? L'atmosphère qui en résulte est donc dérangeante car déstabilisante, d'autant plus qu'elle est accentuée par l'aspect glauque des décors. Masterton s'y connaît en matière de lieux sordides, mais l'aspect froid, clinique, de ses descriptions accroît encore la sensation d'écœurement. Ajoutez à cela le métier consommé de l'auteur, son art de rendre ses personnages vivants sans avoir à forcer le trait, son parti-pris de concision – le livre compte à peine 200 pages – et vous comprendrez que vous avez entre les mains un roman honnête et efficace, sans effets spéciaux superflus.