BÉLIAL' Dépôt légal : novembre 2003 Réédition en omnibus Recueil de romans, 384 pages, catégorie / prix : 21 € ISBN : 2-84344-052-1 Genre : Science-Fiction
Ils sont une poignée à avoir survécu à l'attentat qui a détruit leur vaisseau. Perdus sur la Planète Géante, monde reculé échappant à tout contrôle, ils doivent entreprendre un périple de 65 000 kilomètres pour rejoindre l'unique enclave terrienne...
Quant à Apollon Zamp et sa troupe d'histrions, ils ont fort à faire à bord de leur bâteau-théâtre : entre la concurrence pas toujours loyale de leurs confrères, les attaques de nomades et l'ire des spectateurs, pas facile de gagner le concours dramatique le plus prisé de la Planète Géante...
Surtout quand on projette d'y jouer la version locale d'une pièce de l'ancienne Terre : Macbeth.
Jack Vance est né le 28 août 1916 à San Francisco. Infatigable bourlingueur, marin chevronné, il cultive depuis toujours un goût marqué pour le dépaysement. D'où l'extraordinaire chatoyance de ses récits, particulièrement lorsqu'il s'attache à élaborer des peintures baroques de paysages imaginaires et de civilisations exotiques, aussi bien dans le domaine du space opera que du planet opera ou d'une fantasy plus traditionnelle.
Le cycle de La Planète Géante, ici réuni pour la première fois, qui plus est dans une traduction complète et définitive, est l'une des œuvres maîtresses de Jack Vance, un livre archétype du planet opera qui inspira toute une génération d'écrivains, à commencer par le Robert Silverberg du cycle de Majipoor.
1 - Pierre-Paul DURASTANTI, Avant-propos, pages 7 à 7, préface 2 - La Planète géante (Big Planet, 1957), pages 9 à 193, roman, trad. Arlette ROSENBLUM rév. Pierre-Paul DURASTANTI 3 - Les Baladins de la Planète Géante (Showboat World / The Magnificent Showboats of the Lower Vissel River, Lune XXIII South, Big Planet (VIE) / The Magnificent Showboats (Orion), 1975), pages 195 à 376, roman, trad. Françoise SERPH rév. Pierre-Paul DURASTANTI & Arlette ROSENBLUM
Critiques
Comme son nom l'indique, la Planète Géante est véritablement démesurée : 40 000 km de diamètre ! Mais sa croûte étant dépourvue de métaux lourds, elle est si légère que la gravité y est à peine supérieure à celle de la Terre, ce qui la rend habitable par l'homme.
Autre conséquence de cette rareté du métal — en dehors des importations, en théorie interdites — , le développement de sociétés technologiques avancées est en pratique impossible.
Les terriens l'ont donc utilisée comme débarras, laissant les non-conformistes, les fugitifs, les sectes et autres marginaux y trouver refuge pour y fonder les sociétés de leur choix. Des sociétés toutes différentes, plus ou moins évoluées, plus ou moins accueillantes, plus ou moins violentes, qui échappent aux lois de la Terre et peuvent coexister sans trop de heurts grâce aux distances qui les séparent... Seule une minuscule enclave permet de maintenir une présence terrienne, mais lorsque des hommes ont choisi la liberté de la Planète Géante, il est rare qu'ils veuillent en repartir, même si la vie y est sauvage et rude.
Dans le premier roman, les membres d'une commission terrienne s'écrasent à 65 000 km de l'enclave terrienne. Pourchassés par le Bajarnum de Beaujolais — un despote qui menace de conquérir toutes les régions voisines — ils vont devoir affronter mille périls et rencontrer de nombreuses sociétés.
Sur le schéma classique d'une odyssée ou de tout autre voyage extraordinaire, Jack Vance nous concocte un planet opera coloré et pittoresque où l'on rencontre des peuples arboricoles, des nomades agressifs, des Magiqueurs rusés, les habitants d'une étrange utopie où maîtres et domestiques se confondent, des oracles tirant leur savoir d'une drogue conjuguée à des pratiques barbares, etc. On y voyage à dos de zipangotes, sur un radeau ou dans des trolleys suspendus à une monoligne tendue par-delà les montagnes... On y assiste à des danses, des jeux et des cérémonies toujours étonnantes, parmi des foules bigarrées aux costumes extravagants...
Décor fabuleux, la Planète Géante pouvait se prêter à de nombreuses autres aventures, c'est sans doute pourquoi Jack Vance a choisi d'y situer aussi l'action des Baladins de la Planète Géante, même si ce roman n'a pas grand chose d'autre en commun avec le précédent, hormis l'habituelle diversité des sociétés rencontrées. Cette fois, c'est la vie et la rivalité de troupes de théâtre itinérantes qui sert de prétexte à des aventures pleines d'humour. Que ces compagnies opèrent au sein de bateaux-théâtres le long de l'un des fleuves de la Planète Géante ne les distingue guère des baladins moyenâgeux ni des pauvres tragédiens qui arpentent le Far West de Lucky Luke : ils sont simplement transposés dans l'espace. Pourtant, Vance use des amusantes pérégrinations d'Appolon Zamp pour illustrer d'une manière ludique et légère une question plus profonde qu'il n'y paraît : « L'art est-il absolu ? Ou dépend-il d'une civilisation particulière à un moment donné ? » (p. 276)
Le « plus » de Vance, c'est bien sûr son style inimitable : une écriture remarquablement précise et imagée, où descriptions et dialogues servent la progression d'une intrigue certes assez sommaire mais qui constitue une agréable invitation au voyage. Alors qu'importe qu'il s'agisse avant tout d'un divertissement anecdotique, quand un tel plaisir de lecture est au rendez-vous ?
Depuis qu'il a entrepris, au tournant des années 50, de faire carrière dans le domaine des littératures de l'imaginaire, Jack Vance n'a cessé de raconter la même histoire : celle de l'homme aux prises avec un monde inconnu. Personne comme lui ne maîtrise l'alchimie si délicate du sense of wonder. Lire Vance, c'est la garantie d'un dépaysement vertigineux.
Après Croisades, recueil de quatre novellas plutôt emblématiques, les éditions du Bélial' propose l'intégrale de la Planète Géante (en version remaniée), cycle charnière qui synthétise l'essentiel des qualités vancéennes. Le cadre ? Cette Planète Géante archaïque, sans foi ni loi, qui a été colonisée « par des groupes fuyant les contraintes ou résolus de vivre selon des principes dépourvus d'orthodoxie », aux coutumes, aux cultures infiniment variées.
Le premier volet du diptyque raconte justement la tentative d'un homme — le Barjanum de Beaujolais — pour injecter un peu de cohérence dans cette magnifique (quoique périlleuse) diversité. Mais la tentative se transforme en tentation hégémonique, ce qui n'est pas sans inquiéter. On suit un groupe d'enquêteurs de la Terre dont le vaisseau, victime d'un attentat, s'est écrasé. Pour survivre, ils doivent franchir les quelque 60.000 kilomètres qui les séparent de l'enclave terrienne. Sur une trame éprouvée (le récit d'exploration), Vance construit une intrigue où sont en germe bon nombre d'éléments qui constitueront la base de son œuvre ultérieure (on pense au cycle de Tschaï). Le roman, qui se résume à une succession de péripéties, de rencontres hautes en couleur et d'actes de bravoure, peut paraître linéaire, comme si Vance n'avait eu d'autre ambition que de restituer le baroque et l'exotisme de ses visions, au détriment du reste. À la fin, le Barjanum est vaincu, le chaos demeure. « La Planète Géante est un monde sauvage où se commettent de biens sombres forfaits, mais l'uniformité imposée par la force ne ferait que repousser le dilemme plus loin. La Planète Géante est essentiellement un problème auquel n'existe pas de solution générale ».
Les Baladins de la Planète Géante reprend le même canevas narratif puisqu'il s'agit encore d'un voyage — mené cette fois sur un bateau-théâtre (superbe invention). Le roi du lointain Soyvanesse organise un concours dramatique doté d'une récompense fabuleuse : un château, un titre de noblesse, et suffisamment de fer (la monnaie locale) pour couler une retraite dorée. De tous les horizons convergent acteurs et histrions. On s'intéresse à Apollon Zamp et à sa troupe, qui convoitent la première place avec une reprise de Macbeth, mais que de multiples rivaux s'acharnent à perdre. Ce postulat simpliste sert de prétexte à des aventures échevelées, pimpantes, où Vance s'ingénie à étoffer, à détailler la mosaïque qu'est la Planète Géante. Le rythme du roman épouse le trajet de Zamp. Une escale : une ville, un peuple, une culture ; une représentation : des problèmes. Au programme, coups tordus et basses vengeances. Les rebondissements, quoique nombreux, sont attendus. C'est là encore très (trop) linéaire. Moins convaincant, en somme. Reste la manière, le souffle Vance. « La Planète Géante représente pour nous cette vision tentante du pays de l'autre côté de la frontière ». Vance garde la nostalgie de l'Amérique des colons, des grands espaces, des libertés. Son Far West spatial est une magnifique utopie rétro.