Tommaso PINCIO Titre original : Un amor dell'altro mondo, 2002 Première parution : Turin, Italie : Giulo Einaudi editore s.p.a., 2002 Traduction de Éric VIAL Illustration de Alain BRION
DENOËL
(Paris, France), coll. Lunes d'Encre Dépôt légal : janvier 2003, Achevé d'imprimer : décembre 2002 Première édition Roman, 288 pages, catégorie / prix : 20 € ISBN : 2-207-25426-7 Format : 14,0 x 20,5 cm Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
Alors que la moitié du monde se demande : « Qui a tué Laura Palmer ? », Homer B. Alienson est frappé par une question tombée de nulle part : « Et l'amour ? » Difficile de répondre quand, depuis l'enfance, on ne dort plus la nuit, craignant d'être remplacé par un extraterrestre durant son sommeil, et quand, vivant en reclus, on gagne sa vie en vendant par correspondance de vieux jouets de science-fiction.
« Et l'amour ? » Pour Homer la réponse et la fin de l'insomnie se trouvent au-delà de sa rencontre avec un clochard céleste, un certain Kurt Cobain qui maîtrise la Vérité et s'apprête à partir enregistrer avec son groupe de rock indé.
Biographie imaginaire d'un homme hanté par la science-fiction des années 50, autopsie éclairée du mouvement grunge, roman insolite à la croisée d'Hubert Selby Jr et de Twin Peaks, Un amour d'outremonde, véritable best-seller en Italie, rend un fulgurant hommage au chanteur de Nirvana, au moment même où ses journaux sont publiés en 'France.
Tommaso Pincio, trente-neuf ans, le Pynchon italien, est l'auteur de trois romans inclassables dans lesquels il mélange allègrement références science-fictives, Beat Génération et uchronie.
Critiques
Ce n'est pas de la SF, et on n'y parle que secondairement de musique. Quoique. La SF est tout de même là, comme élément de la culture populaire : autour de 1990, le personnage principal survit en revendant les jouets « futuristes » offerts par ses parents vers la fin des années 1960 ; à neuf ans, après avoir vu L'Invasion des profanateurs de sépulture, il a décidé de ne plus dormir par peur d'être victime des extraterrestres ; il est aussi question des flirts du capitaine Kirk, ou de Blade Runner. Comme de Twin Peaks ou de la fin d'Autant en emporte le vent. Et des soucoupes volantes du Nevada, quand le même personnage, racontant pour un temps sa vie aux touristes dans un bistrot, croit voir l'amour de sa vie en une stripteaseuse embauchée pour être sa fiancée venue de la Planète interdite.
D'un autre côté, ce même Homer B. Alienson ou Boda ou Boddah rencontre sous un pont un jeune vagabond prénommé Kurt, qui lui offre un « arrangement » en poudre, pour qu'il puisse dormir en paix ; ledit Kurt laisse derrière lui des graffitis aux limites du surréalisme, et emprunte en bibliothèque les livres dont le nom de l'auteur commence par B. Le texte charrie des morceaux de discussions entre lui et sa sœur, entre sa petite amie et Boda, des morceaux de lettres, le récit d'un enregistrement en Californie en 1991, guitares brisées comprises, des rats et une lampe psychédélique, la puanteur de tortues et leur fragilité, ou une boite en forme d'amour. Sur fond de grisaille, de forêts, de nord-ouest américain, du moins au début. Et si le nom de Kurt Cobain n'est cité que sur un bandeau ajouté par l'éditeur, c'est bien de lui qu'il s'agit, et Boda est le meilleur ami imaginaire qu'il s'est inventé enfant, et qui le suit à travers des épisodes plus ou moins réels et plus ou moins fantasmés, jusqu'au suicide de l'un et de l'autre — et à la dernière lettre de Kurt, adressée à Boda...
Pas de SF, donc, l'écho de la SF. Et de la vie du météore du grunge. Avec une écriture froide faite pour perdre le lecteur et le captiver à la fois. Captivant en tous cas le traducteur soussigné malgré sa totale incompétence musicale. Mais avec un chiffre de ventes relevant du petit accident industriel : au lieu d'intéresser et les fans de Nirvana et les amateurs de SF, le roman aura touché une partie de ceux qui cumulaient ces deux caractéristiques. Peut-être parce que le résumer est un exercice vain, parce qu'il faut avoir l'idée de l'ouvrir et accepter de se laisser capter, parce que la couverture est calamiteuse, parce que, parce que, parce que... Dommage. Très dommage.
Homer B. Alienson est un jeune homme qui habite Aberdeen, une ville de bûcherons pluvieuse, triste et sans avenir. Enfant, il est traumatisé par la vision du film Body Snatchers (L'Invasion des profanateurs de sépultures, en français). Il s'aperçoit que les personnes qui composent son entourage sont comme les voleurs de corps du film : ils sont autres, étrangers. Depuis lors il ne dort plus ; plus une minute... jusqu'à sa rencontre, à l'âge adulte et alors qu'il subsiste grâce à la revente de vieux jouets des années 60 encore emballés qu'il faisait acheter à sa mère en double, avec un certain Kurt, un gars comme lui, un peu perdu qui dit vivre sous un pont, mais surtout qui n'est pas un des autres. Les deux hommes sympathisent et Kurt partage avec Homer, qu'il appelle par son second prénom, Boda, le secret de la poudre blanche qui l'aide à supporter son quotidien et ses maux de ventres. Une nouvelle vie va alors commencer pour Homer, une vie dans laquelle il va retrouver le sommeil et peut-être l'amour.
Voici un livre écrit dans un style étrange, qui correspond au comportement de son personnage : froid, dénué d'émotions réellement palpables et jouant en même temps sur une certaine proximité, voire naïveté. Pincio axe son récit autour de son personnage principal original et traite ainsi son sujet d'une façon détournée. Car si celui dont on suit les pas s'appelle Homer B. Alienson, c'est bien de Kurt qu'il s'agit, ce chanteur de rock dont le nom n'est jamais cité (à part sur le racoleur bandeau de couverture, mais c'est de bonne guerre). C'est Kurt qui imprègne le livre en filigrane et dont on suit les traces grâce à quelques repères que les amateurs reconnaîtront. C'est son histoire qui est racontée par le biais de celle de Homer et ce n'est sans doute pas un hasard si Kurt appelle son ami comme il appelait son compagnon d'enfance imaginaire : Boda. On en vient vite à supposer que l'existence du personnage principal est doublement fictive : d'abord en tant que protagoniste de roman et ensuite comme personnage issu de l'imagination de Kurt dans le livre. Le jeu sur le statut des deux personnages est un des éléments les plus intéressants du livre. Le reste ne l'est guère. On ne s'ennuie pas, mais le climat absurdement sombre n'aide pas à véritablement pénétrer dans le livre. La tentative de description du malaise adolescent passe complètement à côté du sujet. Impossible de s'y reconnaître, ce qui était pourtant le cas de millions de jeunes gens avec les chansons de Nirvana. Même la vision que donne l'auteur de Kurt Cobain peut apparaître comme caricaturale par moment. On voit que Pincio connaît son sujet, mais on ne sent pas vivre et respirer son Cobain. On effleure les possibilités et on a l'impression de passer à côté de ce qui aurait pu être un meilleur roman.
Un Amour d'outremonde finit par laisser une impression de gâchis lorsqu'on se prend à rêver de ce qu'un autre auteur aurait pu faire avec le même matériau. La quatrième de couverture nous apprend que Pincio est le Pynchon italien. Après avoir refermé son roman, on se dit qu'il en est encore loin.