Ceci n'est surtout pas un roman préhistorique. C'est un roman écrit préhistoriquement. Ce n'est pas pareil. On ignore en effet que certain rameaux de l'espèce humaine inventèrent le langage et l'écriture, à peine sortis des boues originelles. Cela leur permit de retracer les aventures de l'une des premières hordes qui, aux origines de notre monde, erraient sur la croûte planétaire, à demi dégagée des limbes et des eaux initiales. On découvrit, des millénaires plus tard, leurs crânes de calcaire : on retrouva également leurs récits consignés dans le schiste. Les voici.
Claude Klotz
Critiques
Ce livre est un roman préhistorique. Plus exactement, il est aux romans préhistoriques dans la tradition de Rosny ce qu'est la new wave auspace-opera, ce qu'est Delany à Edmond Hamilton ou Spinrad à Heinlein. D'ailleurs, comme l'écrit l'auteur : « Ceci n'est surtout pas un roman préhistorique. C'est un roman écrit préhistoriquement. Ce n'est pas pareil. » En effet, selon un étrange effet de catapultage, Claude Klotz a décidé d'écrire son récit avec une mentalité préhistorique mais dans un langage moderne, en partant du postulat que les hommes de la préhistoire n'étaient pas foncièrement différents de vous et moi. Il se refuse en outre à respecter les consignes de l'écart chronologique, ce qui lui permet des procédés assez surprenants comme ceux consistant à dater une scène du 18 juillet 3 658 312 avant J.-C. (page 107) ou à écrire des phrases de ce genre : « Frantz, Adrien et Elizabethles (il s'agit de chéloniens du jurassique inférieur) regardaient venir, a 80 kilomètres chrono »(page 88) ;« Tonnerre, flash, spot, un gigantosaure de 140 mètres et 400 tonnes traverse la nue en V-2 » (page 93) ; « Karl creuse un W.C. » (page 101 ). On le voit, l'auteur piétine également les poncifs en ce qui concerne les noms de ses héros : au lieu de s'appeler quelque chose comme Oûm, Krol ou Rnstk, ils se nomment comme tout le monde. Tout cela est très savoureux et donne un livre exceptionnel qui est, véritablement, de la science-fiction au sens le plus profond du terme, puisqu'il l'est au niveau de l'écriture. Une curiosité à ne pas manquer. (A noter qu'il s'agit de la réédition d'un ouvrage primitivement paru chez Christian Bourgois en 1971.)
Voilà un livre comme j'aime : absolument délirant et d'une rigueur étonnante, qui montre à quel point l'imaginaire fonctionne sur ses propres sécrétions, et qui exhibe la nécessité de sources : l'écrivain écrit sur la littérature, quoi qu'il en pense. On connaît la genèse de cet ouvrage : Klotz (P. Cauvin), obligé par quelque saugrenu décret administratif, de faire un cours de préhistoire à des gamins d'un CET qui s'en tamponnent comme de leur premier chapardage. Et l'enseignant d'inventer à la manière d'un Rosny qui serait nourri de Mandryka, de Gotlib, de Sine, de Chaval, de Gourmelin — un épisode, pour passer une heure. Mais, piqués au cœur par l'horizon imaginaire, les gamins veulent la suite, suggèrent, etc. On est loin de l'« exactitude » (pseudo) scientifique du Rosny de la Guerre du Feu.La reconstitution historique est légèrement oubliée. Semaine après semaine une préhistoire neuve suit son cours mutant, sinueux, qu'illustrent merveilleusement les dessins de Gourmelin, jalonnant cette jungle de fausses pistes fascinantes. Livre leurre, à l'invention étonnante, que l'on peut faire lire à des enfants de 12 ans (j'ai fait l'expérience) quitte à les voir crever de rire. Mais qui ne déplaira pas à des adultes rassis non plus. Personnellement j'ai pris un immense plaisir à relire et à feuilleter cet étrange objet littéraire. Un seul regret : n'avoir pas entendu Klotz le raconter semaine après semaine. Mais où sont les enseignants de cette trempe ? « O Tempora O mores » comme on dit dans Astérix...
... Et on replonge dans la Préhistoire, mais cette fois-ci, rien à voir avec les safaris-massacres de Simak ou même les tarzanneries du Burroughs. Des hommes de glaise et de roc aux cervelles-noisettes affrontent les éléments déchaînés, la terre convulsive, les hommes-lézards, les phoques-tigres, les saisons paroxysmiques, les mastodontes, et leur intelligence naissance : Karl et Frantz, les deux vieux copains ; Adrien, le jeune fier ; Alain, qui est quatre ; Germaine, la folle ; Elizabeth, malgré tout sentimentale ; Dr, au crâne d'os plein... Ils découvrent le feu et l'alliance, bouffent du grès et clapotent dans la boue originelle, crèvent de froid, de faim et de chaud, s'entredévorent mais résistent — du moins Karl, le vieux sage rusé, qui se met à penser, invente l'amour, le langage et l'écriture — dans la boue éphémère et délétère, parmi les spasmes planétaires du Pléistocène.
D'un style aussi tortueux et juteux que ses lianes préhensibles, Klotz nous brosse un tableau d'une Préhistoire à pétrifier tous les paléontologues, grandement aidé par Gourmelin dont la plume n'a rien d'un silex. On se marre et on s'émeut, les deux à la fois et c'est rare. Des romans préhistoriques de cette (dé)trempe, il s'en produit un par siècle, sinon par millénaire. Dépêchez-vous de le graver dans le schiste de vos crânes avant que quelque bouleversement géologique ne l'enfouisse dans une strate bibliothécaire infouillée.
Dommage pour l'épilogue, le lyrisme se fait vrai donc pompeux, et le propos nébuleux. Si j'étais vous, je refermerais ce livre p. 205, pour rester sur une bonne impression.