Épopée de la fondation, de la grandeur et de la décadence du village de Macondo, et de sa plus illustre famille de pionniers, aux prises avec l'histoire cruelle et dérisoire d'une de ces républiques latino-américaines tellement invraisemblables qu'elles nous paraissent encore en marge de l'Histoire, Cent ans de solitude est ce théâtre géant où les mythes engendrent les hommes qui à leur tour engendrent les mythes, comme chez Homère, Cervantes ou Rabelais. Chronique universelle d'un microcosme isolé du reste du monde — avec sa fabuleuse genèse, l'histoire de sa dynastie, ses fléaux et ses guerres, ses constructions et ses destructions, son apocalypse — « boucle de temps » refermée dans un livre où l'auteur et le dernier de sa lignée de personnages apparaissent indissolublement complices, à cause « de faits réels auxquels personne ne croit plus mais qui avaient si bien affecté leur vie qu'ils se retrouvaient tous deux, à la dérive, sur le ressac d'un monde révolu dont ne subsistait que la nostalgie. »
Une réédition majeure : ce prodigieux roman fantastique (originellement publié en 1968) est aussi un des rares best-sellers de la littérature hispano-américaine (Cent ans de solitude a été traduit dans une vingtaine de pays). Chronique délirante d'un village d'Amérique Latine, depuis sa création jusqu'à sa disparition, !e tout vu à travers une famille de pionniers à la descendance fourmillante, Cent ans de solitude est une fresque baroque, au style flamboyant. Le fantastique s'y déploie sur un axe double. Narratif d'abord, avec un jeu sur le temps et l'identité. Mythique ensuite, avec un jeu sur le cloisonnement entre merveilleux et réel, qui paraissent relever d'une même Nature (et non du schéma européen de la Surnature). C'est ce qu'on a appelé le « réalisme magique ». qui permet de soumettre le monde à d'autres états de perception dans la recherche d'une identité culturelle. Littérature des limites, le fantastique sert ici à appréhender une situation politique dans son originalité complexe. Très souvent, la littérature hispano-américaine, née d'un déchirement culturel, s'est construite autour d'une oscillation constante entre mythe et histoire. Le fantastique devient un moyen de transgression, en bouleversant la représentation du monde du dictateur ou du colonisateur par l'outil langagier même qui la fonde. Ainsi, l'objet du fantastique rejoint, comme idéalement chez Marquez, le rôle politique plus général de la littérature : penser les limites de langage. Avec L'automne du patriarche (Grasset), analysant plus intimement les mécanismes de la dictature, Marquez focalisera ensuite son approche de langage dans son rapport à l'expression de la réalité et au discours totalitaire. Si l'on ajoute quelques nouvelles des recueils Les funérailles de la grande Mémé (Grasset) et L'incroyable et triste histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique (id.), c'est à peu près tout ce que Marquez a laissé comme chefs-d'œuvre avant de renoncer à l'écriture. Donc, ne pas en perdre une miette st se précipiter sur cette réédition de Cent ans de solitude, une des grandes œuvres., du siècle !