Malgré leur différence de statut social, Clovis et Manu, 17 ans, ont en commun la passion du surf et de la SF. Ils partent en Australie découvrir la magnifique plage de Surfers Paradise, où Manu rencontrera la jolie Andy, mais où surfeurs et planches s'évaporent comme par enchantement. Manu sera mêlé à l'enquête concernant la dernière de ces mystérieuses disparitions.
Ce que nous pensons être une banale noyade devient un mystère qui s'alourdit peu à peu de multiples faits troublants. Cette trame policière, d'autant plus captivante que les personnages ont une réelle consistance, constitue l'aspect principal du roman. Il faudra attendre la page 213 pour que le récit bascule dans la science-fiction — comme il aurait pu le faire dans le fantastique sans que le sens en soit altéré — , avec le chapitre nommé Partir pour Edena, titre qui est aussi celui de la nouvelle de Christian Grenier publiée dans l'anthologie Utopiae (L'Atalante) en octobre 2000.
Partir sans retour vers une utopie supposée : voici le message au contenu apparemment optimiste délivré par ces deux récits. Mais si dans la nouvelle, le personnage quitte un monde policier où il n'est pas « génétiquement conforme », Les Surfeurs de l'inconnu fuient, eux, la solitude ou un simple chagrin d'amour, bref un quotidien certes assez terne mais pas vraiment sombre.
Dès lors, le lecteur s'interroge sur le sens de cette quête, sans obtenir toutes les réponses à ses questions. Qui est derrière Kéo, ce marchand de bonheur d'autant plus inquiétant qu'il ne propose son paradis qu'à des individus fragilisés ? Que cache Edena, dont nous n'apercevrons que la lisière enchanteresse ? Grenier ne nous le montre pas, comme si seuls comptaient le départ, le chemin, la voie.
Pour partir, il faut nager vers l'horizon et prendre l'une des plus belles vagues. Derrière ce procédé — qui rappelle la dimension mystique du surf au cœur du film Point break, extrême limite — ne peut-on voir une métaphore du suicide — également présente dans Le Grand Bleu ? Et même s'il s'agit de renaître dans un monde neuf, La Plage est là — si l'on veut encore une référence cinématographique — pour nous rappeler combien les utopies peuvent être inquiétantes.
Les Surfeurs de l'inconnu est un roman d'autant plus ambigu que Grenier ne semble pas émettre de réserve quant à cette fuite vers un paradis peut-être factice. Excellemment écrit, il s'adresse donc à des jeunes assez mûrs pour mener leur propre analyse critique ou pour en discuter. A cette condition, ce roman peut être le point de départ d'une passionnante réflexion.
Pascal PATOZ (lui écrire)
Première parution : 1/3/2001 dans Galaxies 20
Mise en ligne le : 3/6/2002