DENOËL
(Paris, France), coll. Lunes d'Encre Date de parution : 9 juin 2002 Dépôt légal : juin 2002, Achevé d'imprimer : mai 2002 Première édition Partie de roman, 400 pages, catégorie / prix : 21 € ISBN : 2-207-25306-6 Format : 14,0 x 20,5 cm Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
Dans un futur lointain, l'espèce humaine a colonisé la galaxie. Les intelligences artificielles qu'elle a créées ont fini par s'émanciper, enfantant des entités surpuissantes comme 3340 et Choronzon, de véritables dieux. 3340 a voulu conquérir l'univers, asservir l'humanité. Il a été vaincu par Calandria May, une mercenaire bio-améliorée ; mais le général Armiger, son âme damnée, a réussi à survivre.
Réfugié sur la planète Ventus, Armiger y prépare la résurrection de son maître. Calandria May et un autre mercenaire, Axel Chan, sont envoyés pour l'empêcher de mener à bien son projet. Pour vaincre Armiger, ils devront percer le secret des Vents, ces entités intelligentes et meurtrières qui veillent jalousement sur l'équilibre écologique de Ventus.
Le Canadien Karl Schroeder est l'auteur de trois romans. Avec Ventus, il livre une fresque demesurée, qui n'a rien à céder au cycle de La Culture d'Ian M. Banks, ou à celui d'Hypérion de Dan Simmons.
Critiques
Voici donc le premier roman de Schroeder à être traduit et publié en France — alors qu'il s'agit en fait du second roman de l'auteur, le premier, Claus effect, ayant été coécrit avec David Nickle. Gageons que ce ne sera pas le dernier, car cet auteur canadien, que les lecteurs de Bifrost ont découvert dans le n° 26, nous livre ici ce qui ressemble fort à un chef-d'œuvre, en dépit de défauts formels.
Ventus est un monde sur lequel un lent et complexe processus de terraformation a échappé au contrôle des hommes, à la veille de son aboutissement. Les colons, envoyés pour y prospérer, sont tout juste tolérés par les Vents, ces machines efficientes qui gèrent l'écosystème de la planète et qui interdisent toute technologie risquant d'altérer la biosphère. Adoptant un mode de vie rupestre, les ventusiens se sont organisés en royaumes de type féodal et ont divinisé les Vents. Calandria May et Axel Chan, deux mercenaires bio-améliorés au service de l'Archipel humain, sont dépêchés sur Ventus pour traquer le Général Armiger, l'âme damnée de 3340, une Intelligence Artificielle qui a bien failli éradiquer l'humanité de la Galaxie. En butte à l'hostilité des Vents et à la méfiance des colons, leur enquête les mène droit vers le jeune Jordan, dont le destin exceptionnel sera déterminant pour l'avenir de la planète et pour la résolution de l'énigme qu'elle représente...
Nourri par une dynamique efficace et une vraie intelligence narrative, le roman de Schroeder souffre cependant de plusieurs petits défauts de style et de structure, surtout sensibles dans sa première partie. L'auteur (un fait de la traduction ?), use et abuse de termes génériques faciles pour désigner ses personnages. Ainsi le mot « compagne », utilisé à outrance et mal à propos, ou bien encore l'expression « Ah, te voilà ! », répétée de manière navrante. Plus largement, l'auteur gère inégalement les points de vue de ses personnages. S'il affecte de les respecter au début du récit, il finit par s'embrouiller et choisit parfois celui qui réduit la tension dramatique de la scène, ce qui gâche le plaisir du lecteur. Las ! Ce ne sont que des défauts mineurs, aisément occultés par la richesse thématique de ce roman dense particulièrement ambitieux.
Ventus est d'abord un texte inspiré sur la terraformation, qui lui sert à la fois de décor et de ressort narratif. En associant nanotechnologie, intelligence artificielle et terraformation, il délivre un message écologique fondé sur une réinterprétation géniale des croyances animistes : les Vents, présents dans chaque animal, chaque brin d'herbe, goutte d'eau ou pierre, ont donné une voix à la Nature. Mais l'écosystème vivant et agissant s'est affranchi de sa programmation, se dotant d'un nouveau langage pour mieux s'autodéterminer. Si ce monde s'éveillant à la conscience n'est pas sans évoquer Solaris, la description des différentes machines qui concourent à la stabilité de la biosphère de Ventus témoigne d'un souci de crédibilité scientifique qui rappelle celui de la trilogie martienne de Kim Stanley Robinson : miroirs orbitaux qui augmentent l'ensoleillement, mécanismes de filtration et d'acheminement des eaux marines pour irriguer les terres arables, etc. C'est dans cette alchimie réussie entre enchantement du réel et rigueur scientifique que résident la force et l'originalité du roman. Schroeder revisite les grands thèmes de la fantasy à la lumière de leur potentiel science-fictif. Il utilise les termes de dieu et de demi-dieu pour qualifier les I.A. et leurs serviteurs ; quant aux Vents, Griffes du Ciel et Cygnes de Diadème évoquent davantage des créatures fabuleuses que des machines. L'auteur jongle avec les arcanes de l'épopée, tels que le retour du Mal ou la bataille finale dans un lieu chargé de sens et de magie, sans ruiner la dimension hard science de son propos. Voici bien ce qu'est Ventus, un space opera hanté par le merveilleux.
Schroeder sous-tend aussi son intrigue d'une intéressante réflexion sur l'utopie. Au-delà des clins d'œil savoureux à l'île de Thomas More et aux cités radieuses, le personnage de Galas, la reine idéaliste qui fonde des villes expérimentales en plein désert, et les projets totalitaristes d'Armiger et de 3340, prouvent que la science-fiction reste une cousine espiègle de l'utopie, qui sait jouer avec les faux-semblants de l'idéal.
En conclusion, l'œuvre de Karl Schroeder est une incontestable réussite. Ventus est une fresque démesurée qui transcende ses imperfections en jouant sur nos peurs et nos aspirations profondes. Après ce roman, vous ne regarderez plus le ciel de la même façon.
Quatrième millénaire, planète Ventus. Calandria May et Axel Chan, mercenaires galactiques, s'introduisent sur Ventus pour éradiquer un redoutable danger : la résurrection imminente de 3340, intelligence artificielle toute puissante. Sur Ventus, les hommes sont tout juste tolérés par un écosystème entièrement gouverné par les Vents, morphes, mécas et autres entités nanotechnologiques. Toute technologie trop avancée y est proscrite : seuls les outils archaïques y sont admis. Jordan, modeste maçon de Ventus, a d'étranges visions. Kidnappé par les mercenaires, il semble devoir jouer un rôle crucial dans la recherche d'Armiger, rejeton du terrible 3340. Un conflit menace en effet d'éclater entre les hommes, les Vents et les Dieux...
Dans un article publié récemment dans la revue Bifrost (Profession : Bâtisseur de mondes), Karl Schroeder, l'auteur canadien de Ventus (son deuxième roman, le premier à être traduit en France) explique sommairement pourquoi l'imagination doit selon lui servir davantage la construction d'une histoire solide que l'érection d'un univers avec ses lois, ses religions, etc. C'est argumenté et plutôt intéressant. L'ennui est que Ventus échoue précisément là où Schroeder insiste. Tout d'abord, il y a d'emblée maldonne : tandis que la quatrième de couverture nous laisse espérer un space opera tentaculaire, une lutte sans merci entre I.A. déifiées, Ventus est bien plutôt une laborieuse épopée moralisante, qui nous apprend qu'il faut respecter autrui et la nature... Quant à ces fameux « dieux », métaconsciences omnipotentes censées être au cœur du récit, ils sont curieusement absents. L'un d'eux pourtant, le sombre Armiger, est un personnage central. À l'agonie, il trouve refuge dans un corps humain, ce qui lui permet de découvrir les vertus de la conscience, de l'amour et de la loyauté, finissant ainsi d'engluer cette fresque cyber-moyenâgeuse dans la sensiblerie.
Le reste est à l'avenant : les autres personnages ne prennent jamais vie, réduits à des traits psychologiques grossiers dont le moindre n'est pas leur gentillesse exaspérante — hormis un petit traître et un nobliau lubrique, point d'ambivalence. Le style est désespérément plat, et le récit paraît greffé de façon artificielle sur un univers certes original mais à aucun moment sensible, crédible — un comble pour cet auteur qui mise tout sur la richesse dramatique. Et si cela ne suffisait pas à décourager le lecteur, Ventus s'étire démesurément, l'auteur se répétant inutilement à longueur de pages, soucieux de bien se faire comprendre.
Mais ce roman ne recèlerait-il pas quelque qualité cachée, un petit trésor discret qui pourrait tout de même, envers et contre tout, le rendre attachant ? Soyons honnête. Si Ventus ne passionne jamais, il n'est pas totalement dénué d'intérêt. Schroeder est un admirateur de J.R.R. Tolkien : comme dans Le Seigneur des anneaux, il s'agit de la quête de jeunes campagnards plongés dans les arcanes des puissants ; or Ventus regorge comme son illustre modèle de belles descriptions de paysages et parvient parfois à susciter une certaine poésie, lorsqu'on s'y attend le moins. L'auteur a conçu son univers avec minutie et avec cœur. S'il parvient à résoudre ses problèmes formels — réduit à son essence, Ventus aurait pu être un bon roman — , Karl Schroeder atteindra peut-être son but.Pour l'heure, c'est seulement une énorme (et interminable) déception.