Il y a des univers parallèles. Une multitude, une infinité. Et il y a une voie qui relie ces univers, passant de Terre en Terre : la Clarté. Lorsqu'il existe une longue route ne menant littéralement nulle part puisque pointée sur l'infini, on peut être sûr qu'un certain nombre d'individus vont l'arpenter. Ce sont les Vagabonds, qui cherchent à retrouver les créateurs de la Clarté. Accessoirement, en bondissant de Terre en Terre, ils militent pour une grande fraternité des humains au long de cette « voie terrestre ».
Sur notre Terre, ils proposent quelques hochets technologiques (énergie renouvelable, vaisseaux intersidéraux, ingénierie planétaire...) tout en poussant à la création d'une véritable fédération mondiale. Évidemment, certains jeunes gens plutôt en problème avec eux-mêmes (le syndrome James Dean dans
La Fureur de vivre en somme) profitent honteusement de l'aura des Vagabonds en se faisant passer pour l'un des leurs auprès des petites nanas. Comme Kyle, transformé en tombeur par la magie du mot « vagabond ».
La Voie terrestre est le troisième roman de Robert Reed publié en France, après
La Jungle hormone et
Le Lait de la chimère, et avant
Le Voile de l'espace. Reed est très certainement l'un des auteurs les plus intéressants qui aient été révélés ces dernières années, même s'il ne possède ni l'envergure ni le charisme d'un
Dan Simmons ou d'un
lain Banks. Mais aucun de ses livres n'est banal. Et comme le souligne son éditeur, chaque fois que Reed empoigne un motif déjà bien usé (songez aux innombrables univers parallèles peuplant la SF), il le manipule et le renouvelle considérable ment.
Kyle sera pris en otage, en compagnie de Jy (la « Resplendissante » supérieure charismatique des Vagabonds) et de quelques autres, par un renégat nommé Moliak, ancien collaborateur de Jy. Ils filent au long de la Clarté, survolant des Terres toutes différentes. On découvre alors que les univers ne sont pas agencés au hasard le long de la voie : leur succession répond à une logique, qui n'est ni mécanique ni spatiale. Comme le souligne Klein dans sa préface, « la morale devient une dimension de l'espace ». D'un côté les Terres paradisiaques, de l'autre les infernales. Voilà un beau retournement de motif éculé ! Notre propre place dans le classement, Reed se montrant lucide, est évidemment assez médiocre.
Hitchcock, je pense, a établi la loi selon laquelle plus le méchant est réussi, meilleure est l'histoire. Avec Moliak, Reed en a construit un qui peut répondre à ce critère, mais dans le même temps il nous l'offre crédible et motivé. Dans son passé, Moliak s'est trouvé en présence du mal. Du Mal absolu, nouvel archétype : les inTrouvés, version absolument pervertie (si c'est possible) de l'humanité, qui ne se sont pas autodétruits ni n'ont évolué vers une conscience meilleure. En permanence, les inTrouvés vivaient dans le mal, la guerre totale, l'enfer. Moliak les détruit, contrevenant à toutes les règles des Vagabonds. Mais les a-t-il détruits ? Et s'ils existent ailleurs, d'où viennent-ils ? Moliak décide de couper en deux la Clarté, en utilisant un « déclencheur » que Jy porte en elle.
Tout récit doit comporter une conclusion, et parfois celle-ci constitue son point faible. C'est souvent le problème des livres que l'on n'a pas envie de quitter : aucune fin ne semble satisfaisante. Ici, la solution de la crise est peut-être, comment dire, trop rapide ? En revanche, Reed est de ceux qui proposent une vision riche et développée, ce n'est pas si fréquent. Enfin, sa manière gourmande de conter les perversions de l'esprit des individus ferait pardonner bien des faiblesses. « Tout le monde est monstrueux » semble être le message. Mais certains luttent contre eux-mêmes, telle Jy.