“ Jean Ray est un des plus importants novateurs de la littérature fantastique contemporaine ”, affirme d'emblée Jean-Baptiste Baronian dans le chapitre consacré à Jean Ray dans son Panorama de la littérature fantastique de langue française. Avec lui, c'est la peur qui naît, ses fantômes, ses monstres, la déraison et le surnaturel. Mais tout l'art de Jean Ray, qui en fait l'incontestable chef de file de cette école, est de suivre parfaitement la technique littéraire pour y injecter les poisons de l'irrationnel. De plus, c'est dans le quotidien – et comme il est bien décrit ! – que surgit l'autre dimension, celle que nous ne sommes pas capables de maîtriser.
Il semble acquis que son chef-d'œuvre absolu est Malpertuis, que l'on trouvera ici au côté de son tout premier livre, Les Contes du whisky, ainsi que d'une sélection de vingt-cinq nouvelles extraites de différents recueils et qui, toutes, nous entraînent dans un monde parallèle.
1 - Présentation de l'auteur, page 7, introduction 2 - Malpertuis, page 17, roman 3 - Les Contes du Whisky, page 171, recueil de nouvelles 4 - Autres histoires noires et fantastiques, page 317, recueil de nouvelles 5 - La Ruelle ténébreuse, page 318, nouvelle 6 - Le Psautier de Mayence, page 319, nouvelle 7 - Le Dernier voyageur, page 320, nouvelle 8 - Le Grand Nocturne, page 321, nouvelle 9 - La Scolopendre, page 322, nouvelle 10 - La Main de Goetz von Berlichingen, page 323, nouvelle 11 - L'Histoire du Wûlkh, page 324, nouvelle 12 - Le Cimetière de Marlyweck, page 325, nouvelle 13 - Le Miroir noir, page 326, nouvelle 14 - Irish Stew (Berliner Luft), page 327, nouvelle 15 - Le Uhu, page 328, nouvelle 16 - La Choucroute, page 329, nouvelle 17 - Mathématiques supérieures, page 330, nouvelle 18 - La Sorcière, page 331, nouvelle 19 - La Balle de l'engoulevent, page 332, nouvelle 20 - Qui ?, page 333, nouvelle 21 - La Grande ourse, page 334, nouvelle 22 - Dieu, toi et moi..., page 335, nouvelle 23 - Je cherche Mr Pilgrim, page 336, nouvelle 24 - Mr Gless change de direction, page 337, nouvelle 25 - J'ai tué Alfred Heavenrock !, page 338, nouvelle 26 - Storchhaus ou la maison des cigognes, page 339, nouvelle 27 - Le Trou dans le mur, page 340, nouvelle 28 - La Fenêtre éclairée, page 341, nouvelle 29 - Ombre d'escale, page 342, nouvelle
Critiques
La présence d'un ouvrage de Jean Ray au rayon des nouveautés est un événement éditorial suffisamment rare pour être salué comme il se doit. C'est à la Renaissance du Livre qu'appartient cette fois-ci le privilège de ramener le nom de l'auteur gantois à l'endroit qu'il n'aurait jamais dû quitter :e devant de la scène littéraire. Et savourons le symbole : c'est ce même éditeur qui en 1925 publia le premier recueil de Jean Ray, et l'un de ses rares succès critiques, Les Contes du Whisky.
Il faut bien se rendre à l'évidence : après la fin de l'ère héroïque de Marabout, dans les années 60, et malgré une courte embellie à la Librairie des Champs-Elysées et aux Nouvelles Editions Oswald dans les années 70-80, l'histoire bibliographique de Jean Ray n'est qu'une longue dégringolade vers le néant éditorial, d'où il ne sort qu'en de rares occasions. La collection “ Les Maîtres de l'Imaginaire ”, qui accueille aujourd'hui ce volume d'œuvres choisies, répare ainsi un bien fâcheux oubli, après avoir proposé à ses lecteurs des volumes consacrés aux plumes les plus illustres de la littérature de genre du plat pays, de Thomas Owen à Jacques Sternberg, en passant par Steeman, Vernes, Dartevelle ou Baronian. Mieux vaut tard que jamais... L'admirateur de Jean Ray sera enchanté de revoir enfin son visage buriné et malicieux au sommet d'une pile d'élégants et forts volumes de plus de 600 pages : c'est la preuve que l'auteur est bien vivant, et c'est surtout la promesse qu'une nouvelle génération de lecteurs va l'aborder.
Pourtant, difficile de satisfaire tous les lecteurs avec un volume d'œuvres choisies de Jean Ray : la production de l'auteur est d'une telle abondance et d'une telle diversité qu'un recueil, si épais soit-il, ne pourra jamais en donner une image fidèle. Examinons néanmoins le contenu de notre volume. On ne s'attardera pas outre mesure sur le débat concernant la pertinence du choix de Malpertuis et des Contes du Whisky, qui sont deux des œuvres les plus rééditées de Jean Ray, c'est à dire celles dont l'exhumation n'était pas nécessairement la plus urgente. Mais comme il s'agit également des deux plus connues et aimées, et donc de celles qui sont le plus à même de séduire un nouveau public, le choix est défendable. On glissera également sur la polémique sans fin concernant la version prétendument expurgée des Contes du Whisky, dont le texte original fut amputé de nombreux dialogues antisémites. Le débat n'a d'intérêt qu'au sein des sphères érudites, et n'apporte à notre humble avis strictement rien au lecteur non averti. Pire, privée de son contexte, cette polémique risque de caricaturer Jean Ray en antisémite militant, ce qu'il n'a jamais été. Plus prosaïquement, on déplorera néanmoins les quelques coquilles qui émaillent le recueil.
Venons-en plutôt au choix des “ Autres histoires noires et fantastiques ” opéré par Nadine Morrisset de Leener, à qui appartient la lourde responsabilité d'administrer la succession Raymond De Kremer (car tel est le vrai nom de Jean Ray). Il est bien entendu critiquable : Les Contes noirs du Golf méritaient-ils d'être si copieusement représentés au sommaire (trois nouvelles), et Le Livre des Fantômes si peu (une seule nouvelle – mais laquelle ! –, La Choucroute) ? Pourquoi avoir omis Le Bout de la rue ? Quid de l'œuvre publiée sous le pseudonyme de John Flanders ? Au moins la sélection contient-elle quelques textes fondateurs et incontournables (Le Psautier de Mayence, Le Grand Nocturne, La Ruelle ténébreuse, etc.) et puise-t-elle dans les principales périodes de la carrière de l'auteur... Mais peut-être aurait-il été plus pertinent de reprendre le sommaire des 25 meilleures histoires noires et fantastiques (publiées par Marabout en 1961), composé en grande partie par Jean Ray lui-même, et qui contribua à le faire connaître du large public... mais ceci est une autre histoire.
Des textes eux-mêmes, que dire qui n'ait déjà été dit ? Que Jean Ray est l'un des deux ou trois monuments de la littérature fantastique mondiale. Que sa langue est d'une richesse incomparable, qu'il sait vous émouvoir avec les thèmes les plus sombres, comme vous angoisser, vous surprendre à chaque page ou presque. Qu'il manie le non-dit, l'étrange et l'humour noir comme peu d'auteurs ont su le faire. Et que Malpertuis et Les Contes du Whisky vous transporteront dans les décors de prédilection du fantastique rayen : les bas-fonds portuaires et les colossales maisons bourgeoises, où se terre l'inconnu, où se distord la réalité.
Pour les lecteurs qui ne connaissent pas Jean Ray, ce volume est une occasion inespérée de découvrir ces textes hélas trop rares en librairie : qu'ils ne la laissent surtout pas passer. Cependant, cet ouvrage rappellera aussi aux admirateurs de l'auteur le cruel manque d'une édition plus complète et durable des « textes sacrés ». Mais comme l'écrirait Jean Ray : faute de gimblettes, on mange des féveroles...