Les Shing sont-ils les envahisseurs prédits par la légende ? Certains croient qu'ils sont des hommes et qu'il n'y a jamais eu d'invasion. Ce qui est sûr, c'est que les vols interstellaires ont cessé ; les mondes de la Ligue sont disjoints. Mais sur une lointaine planète, une humanité métisse retrouve le secret perdu ; un astronef tout neuf est envoyé à la vieille Terre. A son arrivée, tout bascule. Le berceau de la civilisation n'abrite plus que des communautés dispersées, violentes, absurdes. Les Shing, maîtres de la planète depuis douze cents ans, laissent faire : leur loi interdit le meurtre mais autorise tous les mensonges, toutes les manipulations. A Es Toch, leur capitale, il n'y a ni monuments, ni archives, ni racines. Ils n'agissent pas, ils empêchent les autres d'agir et d'avoir un destin à eux. Des sourds-muets régnant sur des sourds-muets dans un palais de mirages. Leur seul ennemi : un homme sans enfance porteur d'un message oublié, et qui devra mourir pour ressusciter dans la personne d'un étranger — au risque de tomber dans un piège bien tendu.
Le nom d'Ursula Le Guin, née en 1929, est synonyme de sensibilité, d'imagination, de lucidité. Sa tétralogie de la Ligue de Tous les Mondes est couronnée par un de ses chefs-d'œuvre : La Main gauche de la nuit.
Critiques
Falk, être étrange, étranger à lui-même, sans mémoire, surgit brusquement de la forêt. A-t-il été décervelé ? D'où vient-il ? Des hommes le recueillent qui le poussent ensuite à partir en quête de la vérité et de son identité volée. Cela implique un long voyage pour se rendre à Es Toch, la ville où demeurent les shings, l'Ennemi qui a asservi la Terre et la Ligue de Tous les Mondes, II y débusquera une vérité qui fleure le mensonge : l'Ennemi n'existe pas, la Guerre n'a jamais eu lieu, les shings sont des hommes ordinaires.
Ah, vraiment ?
La cité des Illusions s'insère entre Le monde de Rocannon, Planète d'Exil, et La main gauche de la nuit dans La Ligue de Tous les Mondes. Avec le dernier volet, c'est le morceau le plus fort, car tissé dans l'illusion extraterrestre.
Ursula Le Guin sait incruster son texte de références culturelles et de paysages qui l'enrichissent. Elle nous présente une Terre bien réelle qui n'a pourtant rien à voir avec la nôtre ; une Terre où les hommes sont muselés par ces shings dont le mot d'ordre est : « Tu ne tueras point ». Un peuple pacifique ? Si l'on veut...
Un peuple qui ne tue pas parce qu'il a peur de donner la mort, parce que tout simplement ses membres ont une peur terrible de mourir ; qui vit par conséquent sur le mensonge permanent et instinctif.
Gérard Klein poursuit sa réédition du cycle de l'Ekumen, d'un auteur parfois méconnu et vraiment pas comme les autres : Ursula Le Guin. Ethnologue — le moins qu'on puisse dire, c'est que ses romans ne trahissent pas sa formation universitaire — elle ne sacrifie jamais son intrigue à la réflexion ; elle est passée maître dans l'art de la description poussée et presque maniaque de ses mondes, de ses civilisations imaginaires et de ses héros. Le Guin ne laisse rien au hasard et, si elle fait œuvre de vulgarisation, c'est, reconnaissons-le, avec le souci de rester intellectuellement satisfaisante, voire exigeante.
La Cité des Illusions se situe, si l'on classe les romans de l'Ekumen selon leur chronologie, à la fin du cycle. Mais, comme les autres romans, il peut se lire facilement de manière indépendante. Tout au plus quelques détails des dialogues resteraient obscurs sans la connaissance des précédents volumes. Rien de vraiment gênant pour une histoire qui, finalement, se résume très rapidement.
Un homme ( ?) est recueilli par des paysans. Il a perdu la mémoire, jusqu'à celle de son identité. Qui l'a ainsi décervelé ? Les Shing, lui apprennent les villageois. Qui sont-ils ? Des Seigneurs qui gouvernent la planète depuis Es Toch, leur Cité, située dans les montagnes. Ce sont les ennemis, ils peuvent mentir même en communication télépathique. Sur cette Terre où la Ligue de Tous les Mondes n'est plus qu'un souvenir, Falk va se lancer dans une véritable quête initiatique pour Es Toch, à la recherche de son identité, de son passé. Mais comment discerner la vérité du mensonge lorsqu'on ne dispose plus d'aucune expérience pour nous y aider ? La confrontation risque de se révéler dangereuse. Il s'agit donc d'une histoire simple et classique mais qui, revisitée par Ursula Le Guin, se révèle d'une profondeur peu commune. Sans être aussi complexe que Les Dépossédésou La Main Gauche de la Nuit ni aussi abordable que Le Nom du Monde est Forêt, c'est un roman vif et équilibré qui clôt la série de l'Ekumen... du moins en français. Car peut-être cette réédition de plus en plus complète du cycle nous fournira l'occasion de découvrir Four Ways to Forgiveness, le recueil de nouvelles qui lui manque encore dans notre langue... À suivre donc.
Xavier NOŸ Première parution : 1/6/2004 dans Galaxies 33 Mise en ligne le : 30/12/2008
Cité dans les Conseils de lecture / Bibliothèque idéale des oeuvres suivantesFrancis Valéry : Passeport pour les étoiles (liste parue en 2000) pour la série : La Ligue de tous les mondes