MNÉMOS
(Paris, France), coll. Icares Dépôt légal : août 2001, Achevé d'imprimer : juillet 2001 Première édition Roman, 320 pages, catégorie / prix : 120 FF ISBN : 2-911618-70-X Format : 13,0 x 21,5 cm Genre : Science-Fiction
En quarante-quatre avant Jésus-Christ. Une galère transportant des dizaines de colons romains s'échouent sur les rivages du continent américain, après une longue dérive au gré des caprices de l'océan Atlantique... Isolé de tout contact avec l'Europe, les descendants de ces colons ont fondé Libertas, capitale de la République du Nouveau Monde, sans jamais perdre espoir de revoir la Rome éternelle.
Quinze siècles plus tard, un jeune citoyen du nom de Géron est enrôlé de force dans la légion de Libertas. Sous les ordres du cynique légat Cnéus Salveris, cinquante navires de guerre partent à la reconquête de l'Europe. Une surprise les attend, à la lisière de la Méditerranée : un gigantesque vortex barre l'accès du continent. Géron et ses compagnons découvriront-ils ce que dissimulent les portes de l'ancien monde ?
Un univers décalé et unique, où se croisent créatures magique et personnages historiques, où s'entrechoquent les époques... Entre l'imaginaire inquiétant de Rosny Aîné et le sens épique d'Orson Scott Card, Reconquérant est le deuxième roman de l'inclassable Johan Heliot, après La lune seule le sait.
Critiques
Après La Lune seule le sait, et un premier roman mis en pages chez Orion et même critiqué dans Galaxies n°18, mais toujours pas paru, Johan Héliot continue de jouer avec l'histoire et de mélanger les genres, cette fois en quittant le XIXe siècle (mais non l'iconographie steampunk) : Partis d'Europe lors de l'assassinat de Jules César, des Romains ont conquis l'Amérique et reconstitué la République, les Indiens n'y gagnant guère par rapport à la réalité ultérieure. Quinze siècles plus tard, forts de machines à vapeur, de dirigeables et d'assez invraisemblables équipements individuels permettant de voler, ils entendent reconquérir le vieux monde. Mais l'uchronie stricto sensu cesse alors, malgré Christophe Colomb et Léonard, car le monde méditerranéen est drastiquement simplifié, enserré dans une mer de forêts, et riche en dragons marins, peuples sylvestres et sorcelleries variées, bref tend vers la fantasy, comme l'enjeu final de toute l'opération — que des extra-terrestres y soient pour quelque chose ne ramenant guère le roman du côté SF, même si on admirera l'ingéniosité de l'auteur. Le tout est vu par le traditionnel jeune homme normal mais un peu marginal, et bien des ficelles du roman populaire sont mises à contribution, à commencer par des portions de récit à la première personne, supposées constituer un journal tenu en temps réel, intervenant d'ailleurs dans l'intrigue, et rédigées dans des conditions qui en rendent l'existence même bien improbable. Cela n'a d'ailleurs aucune importance. Parce qu'on marche. Qu'on est entraîné dans l'aventure. Au premier degré. Et qu'en même temps, des clins d'oeil rappellent que tout cela n'est pas vraiment sérieux, entre notes ou titres pédagogico-faniques et pastiche du début de Salammbô ou de la partie de cartes de Pagnol. Humour et mauvais esprit font qu'on pardonne même des choses sans doute moins volontaires, une séance au Sénat qui, mille orateurs se succédant, doit effectivement se terminer pour le moins tard dans la nuit (calculez), ou deux « au niveau de » en un seul paragraphe. Ou des fautes d'orthographe. On le pardonne parce que Johan Héliot a du souffle, de la fougue, que s'il prend quelque peu de distance avec ce qu'il raconte, il éprouve manifestement beaucoup de plaisir à le raconter et que ce plaisir est communicatif. Bref, on attend la suite, qu'il s'agisse de romans d'aventure de ce calibre, ou, un jour, pourquoi pas, d'un ouvrage bien plus ambitieux.
En quarante avant Jésus-Christ, au moment où la République de Rome échoue à renaître malgré le meurtre de Caïus Julius Caesar, le marchand Nilghy organise l'exode de plusieurs dizaines de républicains vers l'Africa. Mais les colons ne toucheront jamais les rives du continent noir, débarquant en fait sur un grand continent qui se trouve à l'ouest de l'Europe. Les siècles passent, la colonie prend de l'ampleur, les indigènes sont matés, et, en 1551 après la fondation de Libertas, le temps de la reconquête de l'Europe est venu. C'est par les yeux du jeune métis Geron — quasiment enrôlé de force — que sera vécu le grand voyage vers le continent originel et ses secrets ; la découverte d'une société vivant en harmonie avec la mer Méditerranée et ses créatures fabuleuses (naïades, dragons de mer, etc).
Raconté ainsi, le second roman de Johan Heliot, après La Lune seule le sait, se présente comme une uchronie d'une originalité sans faille, mêlant science-fiction et fantasy. Et c'est bien ce mélange des genres qui sauve l'ouvrage, car, pour le reste, on voguera de vague déception en vague déception. D'abord, à cause du prologue, particulièrement mal fichu, souvent mal écrit, lui-même suivi par une première partie hommage au Salammbô de Flaubert (pages 13 à 71) toute en scènes d'exposition lourdes et redondantes, centrées pour la plupart autour de la chose politique (on notera à nouveau le défaut récurrent de l'auteur, à la fois naïf et professoral dans sa vision politique, défaut qui avait plombé en son temps la série F.A.U.S.T. de Serge Lehman). Au sein de la première partie de Reconquérants, le lecteur devra attendre la page 25 pour que le personnage principal apparaisse. Et, premier constat amer : tout ce qui précède la page 71 pourrait tenir en deux ou trois flash-backs et un prologue bien écrit : une version plus étoffée du relatio du début, par exemple.
Une fois la page 76 passée, le roman commence pour de bon et se révèle réussi par bien des côtés, jouant continuellement sur une esthétique intéressante (hommes-volants appelés Aigles, aérostats, dragons de mer). La deuxième partie (pages 75 à 113) réserve deux ou trois morceaux de bravoure et une sacrée trouvaille aux portes de la Méditerranée — le Verrou du Monde — , dont je laisserai l'entière surprise aux lecteurs. Mais le tout est gâché par des descriptions passives et statiques comme s'il en pleuvait, des coquilles beaucoup trop nombreuses pour un ouvrage de ce prix (à se demander si ça a été relu), des titres de chapitre hors sujet (« la croisière, sa muse ») qui sortent le lecteur du sense of wonder qui aurait dû caractériser ce roman d'aventures. C'est dans les troisième et quatrième parties que les plus gros défauts du livre apparaissent, notamment l'absence de véritables personnages (même Geron — pâle Geronimo ; quant au seul personnage féminin, Ekin, il s'agit d'une sorte de sirène nymphomane sans grand intérêt qui n'apparaît que page 150). Cerise sur le pompon : des maladresses et des erreurs logiques inacceptables ne cessent d'éprouver le lecteur, comme la note de la page 179 qui apostrophe icelui, lui rappelant qu'une veille dure trois heures. Et comme un malheur ne vient jamais seul, à partir du chapitre 31, « De Charybde en Scylla » — quelle clairvoyance ! — , l'écriture et la maîtrise se relâchent pour un final bâclé, visiblement écrit à la va-vite (on reconnaît là les conséquences du hou-la-la-faut-que-je-rende-dans-les-temps, aussi appelé deadline, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire).
Le constat peut paraître brutal. Et il l'est, sans doute à cause des attentes suscitées par La Lune seule le sait, infiniment plus maîtrisé. Et pourtant, avec ce roman écrit trop vite, qui n'a pas eu le temps de reposer, dans lequel il aurait fallu trancher soixante-dix pages au début et développer la fin, Johan Heliot confirme qu'il est l'auteur francophone le plus original du moment, palme qu'il se partage avec David Calvo. Quant à savoir s'il faut acheter ce Reconquérants brut de décoffrage... même le critique baisse le glaive et avoue ne pas savoir quel conseil donner, tant l'ouvrage réserve de magnifiques surprises et tout autant d'écueils... Il ne reste plus qu'à souhaiter une édition poche remaniée, comme ce fut le cas pour La Voie du Cygne de Laurent Kloetzer en « Folio-SF ».
La Lune seule le sait a été « unanimement salué par la critique ». L'expression, souvent utilisée par les éditeurs comme argument commercial, est ici véridique : il est rare qu'une première oeuvre soit accueillie avec un enthousiasme qui lui vaille dans la foulée le prix Rosny Aîné 2001.
Le deuxième roman de Johan Heliot est de nouveau une uchronie. L'action se déroule au XVIème siècle, mais le point de divergence est situé vers –44, date de l'assassinat de Jules César. Une faction de défenseurs de la République s'est embarquée pour fuir l'Empire naissant et s'est échouée sur les rivages de ce que nous appelons le continent américain. Ces romains démocrates y fondent une cité idéale au nom généreux : Libertas.
En l'absence d'invasions barbares, les rigides institutions romaines s'y sont perpétuées sans faiblir, même si l'utopie réalisée n'est pas tout à fait celle espérée par les fondateurs : en effet, les légions ont conquis le territoire en écrasant les indigènes, et la liberté d'expression peut se révéler mortelle pour qui la manie imprudemment.
Au fil des siècles, ces romains uchroniques ont cependant acquis la maîtrise des airs, à l'aide de dirigeables et d'ailes individuelles qui transforment certains légionnaires en hommes-oiseaux. Près de mille cinq cents ans après la fondation de Libertas, ils décident de mettre en œuvre leur rêve de toujours : reconquérir Rome et y rétablir la République.
On imagine sans peine la richesse potentielle de cette histoire. Heliot aurait pu détailler l'évolution de Libertas et la corruption d'une utopie avant de mettre en scène un débarquement de légions romaines dans un XVIème siècle européen bien peu préparé à les recevoir. Il aurait pu... Et le lecteur aurait souhaité assister à ces scènes... Mais l'auteur en a décidé tout autrement !
En effet, les choses se compliquent. Au milieu de l'Atlantique siège une île mystérieuse entourée de nombreux vortex. Et ceux qui atteindront la Méditerranée découvriront un monde magique peuplé de créatures fantastiques. Car le point de divergence se situait en fait un peu avant –44 : Jules César avait déjà écrit « La Guerre magique des Gaules » !
Tout bascule donc. D'une astucieuse Histoire alternative, on passe à un récit de fantasy plus classique et un peu confus où le fait que les protagonistes soient romains n'a plus de réelle importance. A trop vouloir mélanger les genres, Heliot perd de vue l'intérêt propre à chacun. Le roman, bien que divertissant, devient bancal. Reste que son imagination est débordante et son dynamisme toujours plaisant. Cela suffit-il à faire oublier la déception qu'une si belle uchronie demeure inaboutie ?