RIVAGES
(Paris, France), coll. Fantasy Dépôt légal : février 2001 Première édition Roman, 348 pages, catégorie / prix : 120 FF ISBN : 2-7436-0753-X Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
La Toile vous permet de circuler dans l'espace... Mais si elle vous permettait aussi de circuler dans le temps ?
1436. Dans les campagnes dévatsées par la guerre, le capitaine Oudart de Fiel erre parmi les cadavres. Une bien curieuse rencontre va faire basculer son destin...
2013. Lara Van Dyken reçoit un e-mail signé par un mystérieux inconnu et daté de 1436 : « Au commencement, il y avait... Qu'y avait-il déjà ? »
2019. Alors que l'empire des « sept soeurs », les sept plus grandes corporations techno-industrielles, domine le monde, Madison Carl Yarborough, adepte des jeux virtuels, trouve la mort, une dague plantée dans le gorge, au terme d'une partie endiablée.
Et tout près de nous, en Xaintrie, se prépare un concert exceptionnel qui changera à tout jamais le visage du rock... et de l'histoire du monde.
Conçu comme un rock-opéra techno-médiéval, La forteresse de métal entraîne le lecteur dans des recoins inexplorés de la réalité virtuelle, à la rencontre d'Ordo, le grand webmestre qui gouverne la Toile spatio-temporelle.
L'action démarre en 1436, dans un Moyen Âge où règne la guerre, puis saute dans un futur proche envahi par la Toile, les grands conglomérats et les personnalités virtuelles. On croise des chefs de la guerre de Cent ans, des soldats de fortune de l'ère numérique, sans oublier un bassiste de heavy metal, héraldiste à ses heures, des adeptes de jeux vidéo qui se tuent à la tâche, et j'en passe. Jusqu'au concert final et à l'apocalypse qui en résulte — si l'on peut dire.
Il y a des livres qui arrivent trop tard. Le lecteur un rien frustré n'a pas l'impression de lire une œuvre véritablement originale mais plutôt une succession de références à des livres antérieurs. C'est malheureusement le cas ici : La Forteresse de métal vient après Evangelisti ou Neal Stephenson, et le procédé consistant à décrire plusieurs lignes d'action temporelle se rejoignant à la fin perd un peu de son originalité quand on a lu Cryptonomicon et la série des Eymerich. Le bassiste surfant sur la réalité du monde est un archétype déjà vu chez Wagner, entre autres. L'intrusion du virtuel dans la réalité est une figure bien connue du cyberpunk — Alexander Besher en donne une version récente dans Mir : un cauchemar virtuel. La mercenaire Doña est une cousine proche de celui de Dantec. Et ainsi de suite. Pour l'amateur saturé de science-fiction de la dernière décennie, ce bouquin fait patchwork. Jusqu'aux visions délirantes d'un Paris envahi de futurs alternatifs possibles — arcologies, habitats orbitaux, etc. — qui semblent nées du pinceau de Schuiten.
Non pas que les auteurs copient qui que ce soit, d'ailleurs. On a simplement l'impression que les portes qu'ils enfoncent étaient déjà ouvertes depuis longtemps. En plus, on trouve ici un défaut malheureusement trop répandu dans ce genre d'exercice : le recours à la pédanterie et aux explications interminables pour “ faire sens ”. Là où certains auteurs, comme Evangelisti justement, illustrent les concepts de leurs livres par une mise en scène dynamique permettant à leurs héros d'agir et d'informer en même temps, les personnages de La Forteresse de métal discutent le coup avec érudition autour d'une table de café, devant un visiophone ou en assemblée plénière d'intelligences artificielles. Les idées sont brillantes, les répliques fusent et c'est aussi ennuyeux qu'un exposé philosophique de Dantec. On trouve même l'expression “ excès de phraséologie creuse ” au détour d'un chapitre.
En fait, une seule question se pose : pourquoi avoir publié ce livre dans la collection Rivages/Fantasy, alors qu'il s'agit d'un livre de pure science-fiction ? Là réside sans doute le véritable mystère...
« On est au bord d'une rupture historique qui pourrait affecter jusqu'à la trame temporelle de l'histoire, sa continuité sémantique et logique. Tout concorde, tout converge pour aboutir à ce point déclenchant où s'ouvrent des possibilités naguère encore jugées délirantes : téléportation, glissements temporels, suintements et décalques d'une époque sur une autre... » (p.59)
Que voilà un roman difficile à résumer !
En gros, en très, très gros : voici quelques dizaines de millions d'années, une entité gazeuse a acquis la conscience d'elle-même et s'est nommée Ordo. Plus tard, en 1436, vers la fin de la Guerre de Cent ans, des apparitions sèment la pagaille sur les champs de bataille. Encore plus tard, en 2013, de curieuses distorsions temporelles se produisent. Enfin, en 2019, dans un monde cyberpunk aux mains de multinationales comme MyckeySoft ou Nikendo, les jeux virtuels deviennent étrangement réalistes... Enfin, grâce à la musique qui est une clé permettant de passer « par-delà la barrière de Babel des langues, des frontières et des temps », les protagonistes se retrouveront pour un concert rock qui va « casser la baraque » !
Inutile d'en dire plus. Le lecteur qui apprécie les œuvres déjantées ne peut pas manquer ce roman tout à fait extraordinaire où l'amateur de SF reconnaîtra mille influences, de Dick à Evangelisti en passant par Van Vogt, Gibson, Egan ou Roland C. Wagner.
Les époques vont évidemment se télescoper, les univers se friper, les énigmes et les astuces se multiplier, les digressions sur quantité de matières plus ou moins savantes vont proliférer... La Forteresse de métal est un incroyable bric-à-brac où les auteurs parviennent à parler de tout, du futile au philosophique et de l'historique au frappadingue, en sautant d'un sujet à l'autre d'une façon qui, curieusement, paraît complètement naturelle.
Car le véritable miracle est que tout cela tient debout ! Les personnages sont suffisamment forts pour que l'on puisse suivre avec autant de plaisir leurs diverses trajectoires, sans perdre le fil d'une histoire pourtant passablement mouvementée. De même, les décors sont plantés avec tant de conviction que les diverses époques sont toutes aussi crédibles, en particulier le Moyen Âge qui est peint avec beaucoup de réalisme.
L'amateur de récits simples et linéaires peut donc tout de suite passer son chemin : ce roman n'est manifestement pas fait pour lui. En revanche, ceux qui ont déjà apprécié les romans d'Evangelisti retrouveront ici la même démesure, avec un goût plus prononcé pour le cyberpunk et la hard science. Nul doute qu'ils se régaleront de ce récit étonnant, agréablement dense et constamment inventif.