RIVAGES
(Paris, France), coll. Fantasy Dépôt légal : mars 2001 Première édition Roman, 456 pages, catégorie / prix : 22,87 € ISBN : 2-7436-0809-9 Genre : Fantasy
L'Italie du XVe siècle : le règne des astrologues et des mages, de la commedia dell'arte, de Titien et Botticelli, de l'Arioste et de son « Roland furieux ».
De partout, ils sont venus à Labirinto, la Cité du Grand Labyrinthe, où chacun peut assouvir ses désirs secrets et se débarrasser des malédictions, des péchés, ou des douleurs secrètes qui le rongent.
Anna la créatrice de masques, Roberto son soupirant, Simonetta la prostituée, Rinaldo le mercenaire, Fabrizio l'acteur, Lorenzo l'avocat, Erminia, Mirabella, Zizola : tous s'embarquent pour un pèlerinage destiné à les purger de leurs maux dans les méandres du labyrinthe. Mais dans tout labyrinthe qui se respecte, chacun risque de perdre son chemin... et son âme.
Dans un style brillant et sensuel, Midori Snyder fait revivre les heures fastes de la Renaissance italienne avec un joli sens de la provocation. Allégorie sur les apparences, le plaisir et l'amour, un roman à savourer avec gourmandise.
Critiques
Labirinto est une cité italienne dont le cœur est un labyrinthe réputé pour exaucer les désirs, révéler les personnalités, effacer les malédictions ou les souffrances... à condition d'en sortir, ce qui semble ne jamais arriver !
Cinq femmes — une artiste dont les entrailles sont rongées par une malédiction et par le remord, une prostituée effrayée par la vieillesse, une sirène condamnée au silence, une mendiante et une ingénue – et cinq hommes – un mercenaire esclave de son épée, un acteur bègue, un avocat au cœur froid, un vieil amoureux ventru et un valet facétieux – vont entrer de concert dans le labyrinthe. Certains volontairement, d'autres pour accompagner ou poursuivre les premiers, d'autres enfin par hasard.
Ce qu'ils y trouveront variera en fonction de chacun, car le labyrinthe est un lieu situé hors de notre temps et de notre espace, s'adaptant à chaque hôte. Nous y croiserons, entres autres, des nymphes et des satyres s'accouplant sauvagement, un invincible dragon mécanique, ainsi que diverses célébrités comme le centaure Chiron ou le poète Orphée, avant de découvrir la nature même de ce lieu enchanté.
Les Innamorati pourrait être considéré comme un roman de « fantasy historique », sous-genre que nous connaissons en France à travers les œuvres de Guy Gavriel Kay ou encore de Lisa Goldstein. L'Italie du XVème siècle y est en effet évoquée de façon vivante et colorée, mais finalement le contexte historique importe peu car le récit est avant tout une brillante évocation de l'art théâtral.
Dès les premières pages, nous sommes entraînés dans un monde où les masques peuvent prendre la parole, faire leurs commentaires et transformer la personnalité de celui qui les porte. Après un étonnant parcours plein de surprises, chacun des dix personnages trouvera l'objet de sa quête – quête consciente ou pas – mais chacun se révélera aussi avoir incarné l'un des personnages typiques de la commedia dell'arte : au lecteur de deviner à l'avance qui est Pantalon, le Matamore, le Docteur, Arlequin ou Colombine... Tous seront à leur tour Innamorato ou Innamorata, c'est-à-dire dans le rôle de l'amoureux ou de l'amoureuse, qui « ne porte pas de masque, sauf l'apparence que l'amour lui prête. » (p.385)
Le lecteur peu familier avec le théâtre italien n'aura aucune difficulté à apprécier ces références, car l'auteur les explicite suffisamment – sans pesanteur aucune. De plus, certains de ces personnages ont leur équivalent dans des pièces plus connues, comme celles de Molière. Ainsi les amusantes trouvailles et ruses du valet Giano rappellent-elles irrésistiblement les fourberies d'un certain Scapin.
C'est aussi avec les comédies shakespeariennes que s'impose la comparaison : des pièces basées sur les faux-semblants, les travestissements, les stratagèmes et les chassés-croisés ; des contes où l'irruption du surnaturel et de créatures fantastiques contribue à invoquer une atmosphère magique qui permet aux couples de se former pour un final joyeux où le badinage triomphe. On retrouve dans Les Innamorati la même légèreté, le même mouvement virevoltant, le même sens de l'espace que dans les meilleures de ces comédies, bien loin des farces bouffonnes et autres pantalonnades.
Midori Snyder parvient à évoquer ces références théâtrales sans jamais trahir la forme romanesque. Elle met en scène cette fantasia, cette extravaganza, de façon sensuelle et enivrante. Souvent drôle, voire truculent, le texte pétille de malice et d'intelligence ; on passe du rire aux larmes, on est intrigué, on retient son souffle, on s'effraye, mais tout est bien qui finit bien... Exceptionnel, ce brillant roman est une véritable fête pour les sens et l'esprit, un spectacle étourdissant et magique auquel vous êtes convié à une place privilégiée : ne le manquez pas !
Midori Snyder, fille d'un poète français passionné de littérature africaine et d'une universitaire américaine, a passé son enfance sur trois continents et escaladé le Kilimandjaro à quatorze ans (pour le fun !). Elle se consacre entièrement à l'écriture depuis quelques années et a vécu un an en Italie pour préparer et entamer la rédaction de ces Innamorati. Un roman qui est loin d'être son premier, mais, comme le veut la formule consacrée : « s'il ne fallait en traduire qu'un, ce serait celui-là ». Et c'est donc Rivages qui s'y est collé, histoire de racheter la publication peu inspirée du cycle des « Fey » de Kristine Kathryn Rusch, dont on évitera autant que faire se peut l'acquisition. En lisant Les Innamorati, le moins que l'on puisse dire, c'est que Midori Snyder a du talent et qu'elle représente avec brio la fantasy que l'on aime chez Bifrost : originale, puissante, sensuelle. Il suffit d'ailleurs de lire les premières pages de ce roman pour comprendre que l'on tient là, si ce n'est un chef-d'œuvre, du moins un livre fabuleux dans tous les sens du terme.
Tout commence, en Italie, dans un XVe siècle de féerie et de barbarie embrassées dans le même sceau, à l'heure du réveil éthilico-comateux de la créatrice de masques Anna Forsetti, en compagnie d'un prêtre qui vient de pécher — pour le moins ! — et se trouve en fort mauvaise posture dans le lit de cette belle veuve dont le prétendant, Roberto, et la fille, Mirabella, tambourinent à la porte. Comme beaucoup de personnages de ce roman, Anna est maudite : telle la rose, elle possède ses épines, mais ces dernières se trouvent à l'intérieur de son corps et lui déchirent les entrailles. Que ce soit Anna, la créatrice de masques, Simonetta, la putain vieillissante, Erminia, la sirène qui se dessèche et aimerait tant aimer, Fabrizio, l'acteur bégayant... tous, à un moment ou un autre du récit, vont entamer leur pèlerinage vers Labirinto, la cité mythique et néanmoins bien réelle où l'on peut se débarrasser de ses malédictions. Et c'est bien là le tour de force de ce roman : nous présenter non pas un ou deux points de vue, mais plus d'une dizaine qui vont se rejoindre, se mêler, s'embrasser et, surtout, s'embraser dans le Labyrinthes des Rêves.
Les Innamorati rappellent avec une force étonnante l'univers de Laurent Kloetzer (La Voie du cygne et Mémoire vagabonde, tout juste réédité d'ailleurs, chez Mnémos), mais, là où le style de Kloetzer laisse tant à désirer, péché de jeunesse s'il en est, celui de Midori Snyder, servi par une traduction inspirée de Monique Lebailly, explose, fleurit, rebondit de morceau de bravoure en morceau de bravoure. Riche, coloré, brutal et parfois d'une paillardise de bordel à marée basse, ce roman est un feu d'artifice, un carnaval de corps et d'âmes déchirés par la haine et magnifiés par l'amour. Tout simplement le plus beau livre de fantasy que j'aie lu depuis le Gloriana de Michael Moorcock. À acheter les yeux fermés, pour mieux les ouvrir.