La retraite se fit tant bien que mal. Le Bailli ouvrait la marche, chevauchant une Aragne qui gémissait de fatigue. Derrière lui s'avançaient en plein désarroi les Tueurs et les Horreurs Bleues, puis les Tervagants qui leur collaient aux talons. Les Immondes suivaient dans une gerbe d'étincelles, griffant les pierres de leurs boulets d'acier. Les pesants Jaggernauds, avec leurs valets d'écurie, formaient l'arrière-garde.
Le bilan de la bataille faisait froid dans le dos. Douze Immondes avaient péri. Beaucoup de Califourches et d'Unicornes étaient tombés du haut des remparts ; leurs carapaces disjointes gisaient parmi les éboulis. Quant aux soldats, il en restait une cinquantaine an plus.
Les derniers hommes s'étaient réfugiés sur la planète Aerlith. Mais les Basiques, ces monstrueux batraciens, les talonnaient. Joaz, le seigneur du Val Banbeck, s'était préparé à l'agression. Que pouvaient ses dragons et ses lanciers contre les armes des envahisseurs ? Presque rien. La race des hommes avait vieilli. Pourtant elle n'était pas prête a périr. Elle voulait vivre encore, et pour vivre elle devait défendre son dernier refuge.
Jack Vance est un parfait conteur, l'égal de Stevenson et d'Alexandre Dumas. Il a une prédilection pour la fantasy à laquelle il a consacré en particulier le cycle de Lyonesse (dignement couronné par le fabuleux Madouc). Dans un registre plus héroïque, il nous donne ici Les Maîtres des dragons : pour les amateurs de jeux de rôles, un sacré festival.
L'ouvrage avait paru dans sa version magazine dans Galaxie N° 14 (1965) il est ici, pris dans la version Ace Books, et le-texte en est étoffé. La traduction en conséquence a été revue. En ouverture, une très amusante illustration de Siudmak, qui fait pour la circonstance une incursion dans l'univers de Frazetta. Cela donne le ton de l'œuvre, et son thème. Vance est spécialisé dans le SO et l'Heroic-fantasy, qui pour être lisibles demandent des qualités de souffle et d'invention au premier degré, celui de la fable et de sa naïveté grandiose. Il affectionne ces mondes hybrides où des moyens âges se constituent dans les marais des préhistoires ; où les fusées voisinent avec les cousins extra-terrestres des tyrannosaures, dans des rencontres quasi surréalistes. Les héros, en revanche sont d'une solidité, d'un monolithisme à toute épreuve : c'est la loi du genre. On peut reconnaître en Vance le talentueux successeur de ER Burroughs — le père de Tarzan — de John (et non Jimmy) Carter et autres David Innes. Mondes pleins de bruits, de ruses, de guerres et de fureur (avec quelques scènes extraordinaires) d'estoc et de taille. Du souffle du lyrisme au premier degré : des récits euphoriques. Pour une analyse pertinente de l'Heroic-fantasy dans ses multiples facettes, voir Requiem N° 25, article d'Elisabeth Vonnarburg.